L’okonomiyaki, la crêpe japonaise née dans les décombres de Hiroshima

13/11/2025
Laurent Lefèvre

Sur des tôles récupérées dans les ruines de Hiroshima, les survivants de la première bombe atomique (hibakushas) font griller une pâte de farine avec de l’eau et les ingrédients à leur disposition. De cette cuisine de fortune est né un plat emblématique de la gastronomie de l'Archipel, l’okonomiyaki, la crêpe japonaise : « la nourriture de l’âme de la reconstruction d’après-guerre ».

Préparé et cuit sous vos yeux sur une plaque chauffante, l’okonomiyaki est un plat typique de Hiroshima très populaire dans l’Archipel. Riche en légumes comme le chou et en ingrédients nutritifs tels les œufs et la viande, la crêpe japonaise – ou omelette japonaise selon les traductions – peut rassasier tous les appétits. Assis sur un tabouret entouré de convives locaux accoudés au comptoir qui encercle la plaque métallique (teppan), on la déguste fumante, directement du gril à l’assiette. Comme ce dimanche 31 août chez Henkutsuya, modeste restaurant situé dans le quartier d’Okonomimura de Hiroshima (« le village de l’okonomiyaki »), l’ambiance est chaleureuse. 

Roboratif, ce symbole d’abondance et de convivialité a vu le jour dans un monde brisé, affamé, où régnaient la disette, la dévastation et la désolation. Originaire de la ville martyre, elle est née dans les décombres de Hiroshima réduite en ruines par la première bombe atomique, qui a explosé au-dessus de l’hôpital Shima le 6 août 1945 à 8 h 15 tuant 141 000 personnes, dont beaucoup de jeunes réquisitionnés pour travailler en usine dans la zone de l’hypocentre.

Les survivants (hibakusha), qui sont restés à Hiroshima ou y sont retournés dès la fin de 1945 et en nombre à partir de 1946, ont dû affronter des conditions terribles bien que la reconstruction de leur ville ait débuté dans les jours qui ont suivi l’explosion – dans certains quartiers, le réseau d’électricité a été remis partiellement en service le 7 août ; le tramway, le 9 et des pompes à eau, le 10.
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L’Okonomimura, le village de l’okonomiyaki situé dans le quartier de Shintenchi de Hiroshima (préfecture de Hiroshima, Japon).

Hiroshima, un phénix qui renaît de ses cendres pour devenir un ambassadeur de paix et de la cuisine japonaise

« Hiroshima a été réduite en cendres, ne laissant pas un seul brin d’herbe, pas arbre. Il n’y avait pas d’insectes et il n’y avait rien à manger. Les gens disent qu’il n’y aura ni herbe ni arbres pendant soixante-dix ans. » Ces paroles de la mère de Tomoko Wakimasu, qui avait 3 ans au moment de l’explosion, sont restées à jamais gravées dans sa mémoire.
La plupart des hibakusha, qui ont perdu leur maison pulvérisée par la bombe ou détruit par les incendies en chaîne qu’elle a déclenchés, doivent trouver refuge dans des abris de fortune et se mettre en quête de nourriture. Ils récupèrent dans les ruines des tôles qu’ils taillent pour en faire des plaques de cuisson et commencent à cuisiner avec les ingrédients disponibles leur traditionnel issen yōshoku (« plat occidental à un sou ») , une fine crêpe à base de farine et d’eau garnie d’oignons verts ou de copeaux de bonite (flocons de poissons séchés), l’ancêtre de l’okonomiyaki.
La farine provenait souvent de l’aide alimentaire américaine fournie par le GHQ (General Headquarters : quartier général des forces d’occupation alliées au Japon), alors dirigé par le général Douglas McArthur. Les hibakusha ont mélangé cette farine avec de l’eau et tous les légumes qu’ils peuvent se procurer, notamment du chou donné par les agriculteurs des régions environnantes non touchées par les radiations. Bien qu’elle ne soit pas un pilier de la cuisine japonaise, la farine est devenue un élément central de l’okonomiyaki, un plat né de la terrible loi de la nécessité.
Des stands d’issen yōshoku font leur apparition dans les rues proches de l’hypocentre. La plupart sont tenus par des femmes qui préparent elles-mêmes ces plats, testant les ingrédients qu’ils trouvent et aménageant les restes parfois apportés par les habitants. Dans le dénuement de l’immédiat après-guerre, ces stands d’issen yōshoku ont joué à Hiroshima un rôle de cuisines de fortune, de cantines populaires et de soutien communautaire.

« La nourriture est le moteur du corps et de l’esprit, souligne l’Académie de l’Okonomiyaki. Tout comme les plantes qui ne devaient pas repousser avant soixante-dix ans, les habitants de Hiroshima ont prospéré et c’est l’okonomiyaki, né dans les ruines de Hiroshima, qui leur a donné cette vitalité. L’okonomiyaki est la nourriture de l’âme de la reconstruction d’après-guerre. »

L’Okonomimura actuel, le village de l’okonomiyaki situé dans le quartier de Shintenchi, est né du regroupement de ces étals de rue au sein d’un bâtiment de trois étages, ouvert en décembre 1965, qui abrite exclusivement des restaurants d’okonomiyaki.
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Préparée, cuite, découpée sous vos yeux sur une plaque chauffante métallique (teppan), l’okonomiyaki, la crêpe japonaise, est prête à être dégustée : directement du gril à l’assiette !

Naissance de l’okonomiyaki et du style Hiroshima


À l’origine de l’okonomiyaki, ses composants, disposés en couches, étaient grillés ou cuits à la vapeur avant d’être grillés une dernière fois. « À l’époque, l’okonomiyaki à la mode de Hiroshima était très basique, contenant des ingrédients simples, car la plupart des ressources alimentaires étaient contaminées par les radiations atomiques et le plat était préparé dans des conditions difficiles », soulignent les universitaires Azmi Abdul Latiff et Nurhaizal Azam Arif, auteurs de l’article « Hiroshima-style Okonomiyaki, a traditional cuisine created out of atomic bombing » (« Okonomiyaki de style Hiroshima, une cuisine traditionnelle née de la bombe atomique »).

Mais à mesure que la ville se reconstruit, la recette s’enrichit de différents éléments. Avec l’ajout de tranches de porc, d’œufs et de nouilles (udon ou yakisoba, nouilles japonaises sautées), la simple crêpe s’est muée en okonomiyaki. Depuis l’okonomiyaki, qui se traduit littéralement par « griller ce que vous aimez », n’a cessé d’évoluer, d’intégrer des ingrédients et de nouvelles recettes – « okonomiyaki » est composé des mots お好み (okonomi), qui signifie « ce que vous aimez, préférez » et 焼き (yaki), « grillé, cuisiné ».

L’okonomiyaki, un plat populaire au Japon

Particulièrement apprécié dans la région du Kansai (centre-ouest du Japon regroupant les préfectures d’Osaka, Kyoto, Nara, Hyōgo, Shiga et Wakayama) et de Hiroshima, il existe plus de 15 000 restaurants d’okonomiyaki au Japon. Hiroshima en compte quelque 800 dans toute la ville – environ 1 600 dans la préfecture de Hiroshima.

Ce plat local a su se décliner selon les goûts et s’adapter aux différentes régions du Japon. Deux écoles du okonomiyaki cohabitent dans l’Archipel : dans la version Hiroshima, les ingrédients sont disposés en couches puis cuits tandis que le style Kansai (ou style Osaka) les mélange avant de les passer au gril.


La crêpe japonaise sait aussi séduire les palais occidentaux. À l’image de la ville de Hiroshima et de son musée mémoriel, elle veut porter un message de paix – des papilles – à travers le monde. Ainsi lors du G7 organisé en mai 2023 à Hiroshima, elle s’est réinventée pour l’occasion : des okonomiyakis au sirop d’érable, agrémentés de saucisses et choucroute ou encore façon fish and chips ont fait leur entrée (provisoire ?) dans le panthéon culinaire du Japon. « L’okonomiyaki est passé d’un aliment de survie à une spécialité de Hiroshima, souligne Shigeki Sasaki, directeur de l’Académie de l’okonomiyaki. Compte tenu de l’actualité mondiale, nous voulons intégrer dans ces plats un message symbolisant la paix et la reconstruction de Hiroshima. »

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Dimanche 31 août au Henkutsuya, restaurant sis à l’entrée d’Okonomimura, le village de l’okonomiyaki situé dans le quartier animé de Shintenchi dans le centre-ville de Hiroshima, l’équipe d’okonomiyaki shokunin (« maître de l’okonomiyaki ») ou okonomiyaki shefu (« chef de l’okonomiyaki ») prend une pause entre deux préparations.

Déguster un okonomiyaki à Hiroshima : bonnes adresses

L’Okonomimur, le village de l’okonomiyaki
5-13 Shintenchi, Naka-ku, Hiroshima-shi
Hiroshima-ken (730-0034), Japon

Henkutsuya, restaurant d’okonomiyaki
10-9 Yagenbori, Naka Ward, Hiroshima, 730-0027, Japon

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