Château Himeji, un joyau
du Japon féodal
qui a traversé le temps

04/09/2025
Laurent Lefèvre

Chef-d’œuvre de l’architecture féodale du début du XVIIe s. au Japon, le château de Himeji, surnommé le « Héron blanc », a servi de décor au film Ran de Kurosawa. Parfaitement restaurée, sa tour centrale, qui se gravit pieds nus par de raides escaliers, a survécu aux tumultes de l’histoire. Inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, ce joyau récemment restauré continue d’éblouir ses visiteurs.

Surplombant la ville de Himeji (préfecture de Hyōgo), à 53 km à l’ouest de Kobe et à environ 80 km d’Osaka, le château Himeji trône au sommet du mont Himeyama, petite colline d’environ 45 m. Entouré de douves franchies par un robuste pont en bois, le château se dresse au milieu de cerisiers dont la floraison forme, de fin mars à début avril, un demi-cercle coloré autour de ses murailles.

Construit au XIVe siècle, cet édifice était à l’origine une fortification destinée à protéger le clan Akamatsu contre les attaques des shoguns locaux  – ses profondes douves se parcourent aujourd’hui en barque ! Au XVIe siècle, le shogun Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), l’un des trois grands unificateurs du Japon, y ajoute un château à trois étages doté de tourelles. 

Le shogun et gouverneur de province (daimyo) Ikeda Terumasa (1565-1613), qui hérite pour ses faits d’armes du fief comprenant le château, l’occupe et l’agrandit en faisant édifier sa tour centrale (tenshu signifiant « donjon ») à cinq étages préservée et restaurée jusqu’à aujourd’hui – le château a été reconstruit en 1577 ainsi qu’en 1964, après de lourds bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale qui ont touché une grande partie de la ville de Himeji.

Dans On ne vit que deux fois (You Only Live Twice, 1967), d’improbables étudiants ninjas s’exercent devant les murailles du château de Himeji que James Bond, incarné par Sean Connery, remarque à peine.

Le château Himeji, une silhouette iconique

Considéré par l’Unesco comme « l’expression la plus parfaite de l’architecture de château du début du XVIIe siècle au Japon », Himeji constitue la toile de fond à de nombreuses fictions se déroulant à la fin de l’ère Sengoku, époque du « pays en guerre » (1467- v. 1600), telle la série américano-japonaise Shōgun tournée en partie dans ses murs.

Sa silhouette iconique fait aussi des apparitions dans des films moins historiques, où il est censé représenter l’immuable Japon féodal. Himeji-jo (« le château de Himeji ») a notamment servi de terrain d’entraînement aux ninjas de James Bond incarné par Sean Connery, dans On ne vit que deux fois (You Only Live Twice, 1967).
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Rencontre au sommet entre le château Himeji, joyau de l’architecture nippone, et Akira Kurosawa, le maître du cinéma japonais

Dès le premier virage qui monte pour accéder à l’intérieur du château, on a l’impression d’être projeté dans la scène de Ran, où dame Kaede, suivie de sa cohorte de servantes, prend possession du château. Himeji joue en effet un rôle central dans ce film et dans Kagemusha, l’ombre du guerrier, deux chefs-d’œuvre d’Akira Kurosawa qui se déroulent au début du XVIe siècle à l’époque d’un Japon féodal fratricide durant l’ère Sengoku précédant le shogunat Tokugawa (période d’Edo, de 1603 à 1867).

Dans Kagemusha, le château Himeji est utilisé comme toile de fond pour représenter la résidence principale du seigneur Shingen Takeda. Himeji-jo y incarne la grandeur menacée du clan Takeda.

Dans Ran (« le chaos »), il sert de décor principal à la résidence du chef de clan, Hidetora Ichimonji, un seigneur vieillissant qui souhaite partager, parmi ses trois fils, ses richesses acquises au prix du sang versé. Dans ce classique, le château Himeji s’impose comme un véritable personnage à part entière, voire comme l’intrigue même du film : la quête effrénée du pouvoir, dont il est à la fois l’écrin, la demeure et le symbole.

chateau-Himeji-Japon-Himeji-Castle-interieur-feodal-Himeji-jo : vue de l'intérieur du château Himeji

Découvrir Himeji de l’intérieur

Pour accéder au point culminant de sa tour principale, il faut d’abord se déchausser avant de gravir de raides escaliers en bois menant aux étages supérieurs. Une agréable odeur de cire d’abeille et de vieux bois flotte dans l’air comme une fragrance d’antiquités fraîchement restaurées.

Au quatrième niveau se trouve la cachette du guerrier (Mushakaakushi) de Himeji, espace confiné dissimulé derrière des panneaux de bois où un samouraï pouvait se dissimuler pour surprendre les assaillants qui auraient réussi à pénétrer jusque-là – la plupart des châteaux japonais de cette époque disposaient de tels abris. 

À cet étage, on peut admirer les deux piliers qui, comme celui central (shinbashira) des maisons traditionnelles japonaises (minka), servent de colonne vertébrale à l’édifice. Creusé dans le tronc d’un arbre entier (sapin japonais), le  east pillar (pilier est), d’une hauteur de 25 m, soutient le donjon depuis plus de quatre siècles.

Son dernier étage, qui abrite un autel shinto en son centre, offre une vue panoramique sur la cité de Himeji, qui, comme la ville de Hiroshima, s’est historiquement développée autour de son château comme le montre ce plan. À son faîte trônent deux shachihokos – un mâle et une felle –, des animaux mythiques à tête de tigre et corps de poisson censés protéger Himeji-jo contre les incendies. Sculptés en tuiles noires vernissées et hauts d’environ 2,5 m, ils se dressent tels des gardiens veillant sur le château et la ville.

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Le château Himeji : le seigneur Hidetora Ichimonji, chef du clan Ichimonji, et son aîné, héritier du château, de son titre et de tous ses biens, scrutent du haut d’une de ses tours le désordre qui se trame (copie d’écran du film Ran, d’Akira Kurosawa).

Le château de Himeji, personnage central de Ran, d’Akira Kurosawa

Dans Ran, ses tours élancées incarnent la froideur du pouvoir, la distance vertigineuse au réel, l’abstraction incommensurable entre la décision irrévocable et la cruauté implacable du champ de bataille. La couleur virginale de ses murs et remparts blanchis à la chaux devient une métaphore glaçante : la tentative, qui restera vaine, de blanchiment des crimes commis pour s’approprier les richesses d’autrui. Car Kurosawa ne permet pas l’oubli.

Dans ses plans de batailles fratricides ou dans la séquence saisissante de décapitation de Kaede au katana, le traditionnel sabre des samouraïs, il y fait éclater le non-dit, les impostures : les murs d’une blancheur immaculée se couvrent alors de sang, d’un rouge éclatant. En véritable plasticien de l’image, Kurosawa exprime en une allégorie puissante l’impossibilité de l’oubli : les crimes refont toujours surface en rougissant les parois et les pierres du château, tel un souvenir qui refuse d’être effacé par le temps ou sous des façades ripolinées.

Le Héron blanc s’est refait une beauté

Dans la scène finale de Ran, le château s’embrase, reflet tragique du sort qu’ont subi la plupart des forteresses en bois de cette époque. À la différence de ses homologues et du destin dramatique dépeint par Kurosawa, le château de Himeji, régulièrement entretenu, a, lui, traversé les siècles. Grâce à ses murs recouverts et renforcés d’un enduit blanc ignifuge, Himeji-jo a survécu à toutes les batailles, dont il a été à la fois l’objet et le témoin.

Sa teinte d’albâtre et ses avant-toits élégamment relevés, qui donnent l’impression qu’un oiseau s’apprête à y prendre son envol, lui ont valu le surnom de « château du Héron blanc » – shirasagi-jō en japonais, shirasagi signifiant « aigrette » et , « château ».

Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, le monument aux 83 bâtiments – dont 74 reconnus au Japon comme bien culturel important –, s’est même refait une beauté. Achevés en 2015, des travaux, qui ont duré environ six ans, ont permis de remplacer les tuiles du toit du donjon et de redonner aux murs extérieurs leur éclat originel. Une blancheur étincelante que les résidents de Himeji sont fiers de pouvoir contempler de leurs habitations ou depuis les fenêtres du train qui traverse leur belle cité. À Himeji, l’envol du Héron blanc, notamment de nuit où il est éclairé, n’a pas fini d’éblouir les locaux et les visiteurs, qui, désormais, n’aspirent qu’à l’admirer et à le photographier.

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L’un des deux shachihokos, animal mythique à tête de tigre et corps de poisson, qui au sommet de Himeji-jo veille sur le château et la ville de Himeji.

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