On vous a déjà dit que vous conduisiez ou ramiez comme un pied ? Sur la rivière Ngo Dong dans la province de Ninh Binh au nord du Vietnam, c’est devenue une tradition qui se transmet de père en fils ou plus couramment de mère en fille.
Sur cette rivière sinueuse, les habitants de la commune de Ninh Hai rament avec les pieds. Adoptée dans les années 2010, cette technique récente dénommée « aviron de jambe » décuple la force et libère ses bras pour d’autres activités. Tout en ramant, elle permet par exemple de prendre des clichés, comme ce photographe, qui a installé sur son embarcation un parasol pour s’abriter de la lumière directe.
Chaque foyer de la commune de Ninh Hai possède un sampan traditionnel (barque à fond plat). À tour de rôle, un membre de la famille (jeunes, vieux, homme, femme) est désigné (« cắt cử ») pour assurer la journée de rame, lorsque ses autres tâches le permettent – récolte, repiquage du riz… Embarquant un ou plusieurs passagers installés à l’avant du sampan, le rameur à pied enchaîne du matin au soir les balades d’environ deux heures le long de la rivière Ngo Dong, appelée Tam Coc pour la partie qui traverse les trois grottes – « Tam Coc » signifie trois grottes (« tam » : trois et « cốc » : grotte).
Cette activité permet à ces familles, de modestes paysans, de générer un revenu complémentaire (prix de la course et pourboire) à la culture du riz. Les gains de cette activité organisée comme un travail, dans laquelle ceux qui pratiquent la rame à pied appelés « chèo đò bằng chân » sont considérés comme des prestataires de service touristique, restent très variables selon la saison.
Identifiable grâce à un numéro, chaque sampan de couleur vert bouteille est enregistré auprès du bureau des barques de Tam Coc (hội chèo thuyền Tam Cốc), qui compte environ deux mille embarcations référencées. Programmés selon un ordre précis, les départs des barques s’effectuent sur le quai de Van Lam situé au centre du village de Van Lam.
Un système de tours est établi à l’avance. Selon ce roulement planifié sur plusieurs jours en basse saison, chaque famille connaît l’ordre de passage de son sampan. En haute saison, le rythme s’intensifie et toutes les barques peuvent être programmées sur une journée. Le jour J à l’heure H, les rameurs à pied se tiennent prêts et s’alignent méthodiquement pour embarquer leur passager. Mieux vaut ne pas manquer son tour : une rameuse en a fait l’amère expérience et a dû patienter dix jours, en basse saison, avant de retrouver sa place dans la rotation.
La balade en barque sur la rivière Ngo Dong bordée de rizières s’enfonce dans trois grottes naturelles impressionnantes (Hang Cả, Hang Hai et Hang Ba) et traverse une mosaïque de paysages saisissants jalonnés de pitons karstiques et de falaises calcaires.
Ce site naturel fait partie du complexe paysager de Trang An, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Dominé par de hautes colonnes calcaires coiffées d’une forêt pouvant atteindre 200 mètres, « ce paysage karstique d’une beauté exceptionnelle » habité par des familles vivant majoritairement de l’agriculture (environ 14 000 habitants) déploie une multitude de reliefs : pitons, tourelles, dépressions fermées, poljé (vallées drainantes), grottes dans lesquelles des traces archéologiques ont révélé une activité humaine qui remonte à environ trente mille ans.o
1.
Rameur songeur, comme happé par le paysage
À quels rêves s’abandonne ce rameur à pied qui fait glisser son sampan sur l’eau en le guidant avec ses jambes ? À la prochaine récolte du riz, prévue dans quelques mois entre fin mai et début juin ?
Il s’y prépare mais sait d’expérience que la date exacte dépend de la saison des pluies et des crues qui peuvent retarder ou avancer la moisson. Il anticipe déjà que le jaunissement visible des plants de riz interviendra deux à quatre semaines avant la récolte.
Resplendissantes d’un vert éclatant en ce 22 février, les rizières bordant la rivière Ngo Dong qui commencent à jaunir à partir de la fin du mois d’avril seront pleinement dorées au moment des moissons.
Prêt pour embarquer : informations pratiques
Quai de Van Lam
(Van Lam Wharf)
Village de Van Lam,
Commune de Ninh Hải,
District de Hoa Lư,
Province de Ninh Binh, Vietnam.
Ouvert tous les jours de 7 à 18 heures.
2.
Chaussures, chaussettes ou pieds nus : tout est permis
Tête nue, bob, casquette ou nón lá, le chapeau conique traditionnel vietnamien porté généralement par les femmes : chaque rameur adopte le couvre-chef qui lui ressemble : aucune tenue vestimentaire exigée. Pour les pieds mis à l’épreuve dans l’aviron de jambe, la liberté reste la règle : sandales légères, pieds nus voire chaussettes, c’est au bon vouloir de chacun.
Certains jours sous un soleil de plomb, les forçats de l’aviron de jambe doivent ramer toute la journée : autant se sentir à l’aise.
3.
L'aviron de jambe, c'est du sport !
Ramer à pied exige puissance, endurance et équilibre : un vrai sport complet dans lequel les femmes dominent – en nombre de pratiquantes – les hommes. Appelée « aviron de jambe », cette technique sollicite sans relâche leur bassin des rameurs, femmes comme hommes.
Essentiellement pratiqué par des femmes, accroupies, genoux et hanches fléchis, buste légèrement incliné vers l’avant, pieds nus plongés dans la boue humide des champs inondés, le repiquage du riz fait également travailler le bassin en tension continue. « Ces exercices préparent ces femmes qui travaillent dur pour l’accouchement : ce sera plus facile pour elles », glisse un jeune rameur à pied.
4.
La rame à pied à toutes jambes !
Sur la rivière Ngo Dong, les rameurs à pied sont majoritairement des femmes. On rencontre aussi des hommes à la barre de ces barques à fond plat fabriquées en bambou tressé ou planches de bambou appelées thuyền » ou « thuyền đò » en vietnamien que l’on peut traduire par « sampan ».
Assis à l’arrière de la barque sur un petit siège en bois incliné, rehaussé d’un petit coussin customisé pour un peu plus de confort, le rameur à pied, une jambe en extension sur chaque rame, enchaîne toute la journée les balades le long de la rivière. Apparemment cette technique, qui nécessite un sens acquis de l’équilibre, permet de se maintenir en bonne forme physique, quels que soient son genre et son âge.
5.
L'art de la rame
Comme ce jeune rameur, adoptez la décontraction et le sourire pour pratiquer la rame à pied (« feet rowing » en anglais) aussi appelé « aviron de jambe » !
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6.
Une pause-cigarette les jambes en l'air
Technique récente pratiquée localement par les habitants de la commune de Ninh Hai, l’aviron de jambe a libéré les mains. Et c’est bien pratique pour prendre une pause-cigarette les jambes en l’air.
7.
Consulter le réseau à tout moment même quand ça rame !
À l’air du numérique, l’aviron de jambe permet également de consulter son portable tout en ramant et de naviguer sur les réseaux au milieu de la rivière, même quand la connexion fait des vagues.
8.
Ramer avec les pieds et laisser dériver ses pensées
"La rêverie d'un rêveur suffit à faire rêver tout un univers.
Le repos du rêveur suffit à mettre au repos les eaux, les nuages, le vent fin. "
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie
9.
« À fond ! À fond ! À fond ! »
10.
L'aviron de jambe : c'est le pied !
