Si vous n’avez pas encore (re)lu le Mahabharata, ce grand « poème du monde* », le Banteay Srei, la citadelle des femmes, est fait pour vous ! Sur ses linteaux, ses frontons, ce temple du Xe siècle dédié à Shiva présente sous la forme de bas-reliefs magnifiquement restaurés les événements majeurs de cette furieuse querelle qui opposa les clans des cousins germains Pandava et Kaurava. De nombreux dieux de la mythologie hindoue peuplent ce temple entouré de champs, de rizières gagnés sur la jungle.
Découvert tardivement en 1914 par les archéologues de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO), le Banteay Srei a nécessité un long travail de restauration. Situé à 36 km de Siem Reap (une heure de tuk-tuk), il a enduré bien des outrages, dont de multiples pillages, comme celui perpétré par un célèbre ministre d’État français chargé des Affaires culturelles…
Sa restauration fut entreprise de 1931 à 1936 par l’EFEO, selon la technique de l’anastylose (reconstruction d’un monument en ruine grâce à l’étude de son architecture). Un travail colossal réalisé pierre par pierre comme l’illustrent ces clichés pris pendant et après les travaux de reconstruction de son sanctuaire nord (photos : musée Guimet, Paris).
À l’issue de cette restauration, plusieurs frontons n’ont pas retrouvé leur emplacement initial en raison de la perte des structures portantes. Certains sont restés sur place, toujours visibles, au sol. L’un d’entre eux a été envoyé au musée national de Phnom Penh (actuel musée national du Cambodge). Un autre fronton** datant d’environ 967, aux mille détails ciselés dans la roche (grès), fait maintenant partie de la collection du musée Guimet, qui compte également un bronze en forme de serpent-naga tricéphale de l’époque d’Angkor Vat (XIIe siècle).
Malraux, voleur d’Angkor au fond d’une jungle
Mais quel moustique a bien pu piquer le jeune Malraux en mal d’exotisme et d’argent ? Pas encore ministre d’État chargé des Affaires culturelles sous les présidences de Gaulle, mais déjà, à sa façon, amateur d’art, Malraux s’est rendu avec sa femme Clara et un ami, Louis Chevasson, sur le site de Banteay Srei pour en découper à la scie des bas-reliefs dans le but de les vendre sur le marché de l’art.
L’aventure des trois apprentis pillards a tourné court : ils ont été arrêtés et jugés par les autorités coloniales. Placé en détention provisoire à Saïgon de décembre 1923 à octobre 1924, Malraux est condamné alors que sa femme, acquittée, s’emploie à obtenir sa libération. Un temps conservés au musée de Phnom Penh, les bas-reliefs dérobés ont été replacés dans le monument lors de sa restauration où ils se trouvent toujours aujourd’hui.
Une mésaventure sans dommages irréversibles pour le Banteay Srei qui a eu deux conséquences (positives) inattendues. Un grand livre, La Voie royale, dans lequel l’écrivain raconte ses aventures, très romancées, avec force lyrisme. Et une prise de conscience qu’il fallait davantage protéger le patrimoine du site d’Angkor. Le « Malraux case » a en effet relancé les politiques de protection et de préservation des trésors de Banteay Srei et des temples d’Angkor. Un effet papillon inattendu auquel l’initiateur des maisons de la culture n’avait pas songé initialement.
* Plus de 100 000 stances divisées en 18 chapitres, soit plus de 2 000 pages.
** Du porche ouest du gopura III est de Banteay Srei figurant le Combat de Sunda et Upasunda se disputant la nymphe céleste Tiottamâ.
1.
Les gardiens du temple
Comme en lévitation sur leur socle, ces sculptures d’Hanuman, le patron des lutteurs, semblent paisibles veillant sur cette sublime cour ornée de sculptures de devatas et de colonnes en pierre au décor de fenêtre.
Fils de Vayou, le dieu du Vent et d’une apsara nommée Anjana, Hanuman est très populaire en Inde, où plusieurs temples lui sont dédiés. Grammairien et herboriste hors pair, il aida Rama à retrouver son épouse Sita enlevée par le roi du Lanka. Symbole du contrôle intérieur, de la foi et de l’altruisme, ses exploits et sa dévotion, notamment envers Rama, sont relatés dans le Ramayana.
Dans certaines représentations, comme cette sculpture d’époque moderne (XVIII-XIXe siècle) exposée au musée national du Cambodge à Phnom Penh, il peut se montrer très expressif.
2.
Les bibliothèques
Cette sculpture en grès fin du fronton (façade est) de la bibliothèque sud montre Shiva et la déesse Uma, assise sur ses genoux, au sommet du mont Kailash, montagne sacrée située au Tibet et demeure de Shiva. Uma, qui évoque la lumière, la clarté intellectuelle, la connaissance métaphysique, est souvent associée à Shiva, à qui l’on donne parfois le nom de somarajan, « le roi ». Ennemi de Rama dans l’épopée du Ramayana, autre texte sacré de l’hindouisme, Ravana, le roi démon à dix têtes et vingt bras, se trouve à leurs pieds.
Sur la bibliothèque nord, Krishna et son frère aîné Balarama, deux incarnations de Vishnou, sont représentés avec les animaux de la forêt. Dans le dernier volume du Mahabharata, Krishna, en méditation, y est tué accidentellement par un chasseur qui le prend pour un cerf.
Aucun ouvrage n’a été retrouvé dans ces sublimes bibliothèques qui jouxtent une sculpture de Shiva dansant le nataraja, une chorégraphie cosmique, avec Nandi à ses côtés, son vahana, le taureau blanc qui lui sert de monture et de véhicule. Cela confirmerait l’hypothèse selon laquelle, à l’époque d’Angkor, ces bibliothèques étaient consacrées à l’étude, et non à la consultation de livres.
3.
Danseuses de haut vol
Ce bas-relief représente trois apsaras (« celles qui glissent sur l’eau » en sanskrit) dansant dans les airs. Arrivées des Indes il y a mille cinq cents ans, ces nymphes célestes seraient nées du barattage de la mer de lait, mythe cosmologique hindou.
4.
Déesse puissante
Gardiennes hindoues et femmes sacrées, les devatas ‒ comme celle-ci sculptée sur un mur de grès rouge ‒ incarnent les forces de l’univers.
5.
Lutte fraternelle
Ce combat entre les rois-singes Valin et Sugriva, deux demi-frères, est tiré du Ramayana, l’un des textes fondamentaux de l’hindouisme avec le Mahabharata.
Sur le fronton du gopura ouest (porte d’entrée), un bas-relief narre également cet affrontement entre ces deux demi-frères ennemis.
6.
Indra, roi de tous les dieux
Ce bas-relief orné représente Indra, dieu hindou du ciel, de la foudre, de l’atmosphère, des orages et de la pluie. Défenseur de l’humanité et des dieux contre les forces de mal, il est sculpté sur un linteau en grès rouge entouré de deux éléphants.
7.
La constance du gardien
À l’intérieur de cette paisible cour, un gardien en pierre veille sur sa tranquillité. Trouvées dans les ruines de Banteay Srei et restaurées, de superbes sculptures de yaksha (génies des arbres et gardiens des trésors naturels cachés sous la terre et les racines des arbres dans l’hindouisme), de Vishnou, de gardiens à tête de lion, de singe, de rapace, de yaksha sont aujourd’hui conservées et exposées à Phnom Penh au musée national du Cambodge.
8.
Shiva et Kala en tête-à-tête
Sculptées dans la pierre en grès rose de ce fronton, les figures de Shiva et de la déesse Kala miment-elles une danse, une confrontation ou un conciliabule ?
Les représentations de Kala, créature mythique dévoreuse à l’expression féroce, sont généralement fixées au-dessus des portes des sanctuaires afin de protéger symboliquement les lieux.
9.
Génies des arbres aux aguets
Sculptés dans le grès rouge, ces deux yakshas, génies des arbres et gardiens des trésors naturels, veillent sur la citadelle des femmes.
10.
Shiva en majesté porté par Kala
Magnifique entrelacs minéral, ce bas-relief sculpté dans le grès rouge représente Shiva assis sur la tête de la déesse Kala, la créature mythique et dévoreuse aux yeux globuleux.
11.
Forêt incendiée
Sculptée sur un mur de Banteay Srei, cette scène du feu dans la forêt de Khandava est tirée du Mahabharata. Dans cet épisode, Indra, divinité protectrice (deva) de cette forêt, s’oppose à Agni, le dieu du feu, qui avait besoin de la brûler pour satisfaire sa faim insatiable. À chaque fois qu’il y mettait le feu, Indra faisait pleuvoir pour éteindre le début d’incendie. Mais avec l’aide de Krishna et d’Arjuna, Agni arrive à ses fins déclenchant un véritable carnage.
12.
Shiva en son temple
Ce fronton, avec son bas-relief représentant Shiva et sa compagne assise sur ses genoux, est disposé sur le sol près d’un des trois murs d’enceinte en briques et latérite de Banteay Srei, qui possède également de multiples gopuras (portes d’entrée). Il devait faire partie des frontons qui, après la restauration du temple, n’ont pas retrouvé leur emplacement initial et sont restés sur place.
Banteay Srei : mode d’emploi
Construit par Yajnavaraha et Vishnukumara en 967
Religion : hindouisme dédié à Shiva
Style : Banteay Srei
Temple Pass exigé
Horaire : ouvert tous les jours de 7 h 30 à 17 h 30
[Source : justsiemreap.com]
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