Cinquante nuances de neige au Groenland :
les Inuits ont bien 50 mots pour
différents types de glace, de neige et plus encore !
Parlez-vous groenlandais ? Langue officielle de l’Île blanche de l’Arctique depuis 2009, le groenlandais fait partie des langues inuites (une branche de la famille eskimo-aléoute) également parlées en Alaska et dans le Grand Nord canadien. Assemblant des mots pour en former de nouveaux parfois très longs, ces langues agglutinantes possèdent un vocabulaire très riche pour distinguer les multiples nuances de neige, de glace et les différents types de phoque.
Perdu dans l’environnement hostile de l’Arctique, la maîtrise d’une langue inuite comme le groenlandais permet de repérer, de discerner et de nommer les diverses formes de trous dans la glace de mer : celui construit par un phoque (un kikkuleq) ou par un narval (l’ammatitaq), le trou dans la glace qui s’agrandit (un aaguppoq) ou qui sert au phoque à respirer et à remonter à la surface, le bien nommé kikkitiq. En groenlandais, grâce à un mot relativement court (aallaaniagaq), vous pouvez signaler à votre compagnon de route qu’à ses côtés « il y a un animal (phoque ou mammifère marin) dans un trou dans la glace de mer » !
Utilisé par la grande majorité des habitants de l’île, le groenlandais (environ 50 000 locuteurs) se divise en trois dialectes : le kalaallisut (West Greenlandic dans la vidéo ci-dessous), le principal qui sert de langue officielle depuis 2009 (environ 44 000 locuteurs qui vivent sur la côte ouest du Groenland) ; le tunumiisut (tunumiit ou groenlandais oriental, East Greenlandic dans la vidéo) parlé par environ 3 000 personnes dans le district d’Ammassalik, autour de la ville de Tasiilaq (côte Est du Groenland) et l’inuktun (dialecte thuléen, Inughuit Greenlandic dans la vidéo) utilisé par quelques communautés d’Inughuits (environ 1 000 locuteurs) autour de la ville de Qaanaaq (Thulé), au nord-ouest de l’île.
Écoutez et entraînez-vous à prononcer les trois dialectes du Groenland.
Avant de quitter l’igloo, mets ton anorak pour conduire le kayak !
Une majorité de la population du Groenland parle à la fois le danois et le groenlandais. Les deux langues sont utilisées dans les affaires publiques depuis l’instauration de l’autonomie en 1979, mais le danois reste prédominant dans l’administration, les médias et l’éducation. La plupart des enfants apprennent le groenlandais (kalaallisut), l’anglais et le danois.
Kayak, anorak (forgés à partir des mots qajaq signifiant « bateau » et annoraaq, « vêtement »), oumiak (embarcation faite de peaux de phoque manœuvrée à la pagaie, utilisée pour les transports) et nunatak (rocher ou montagne qui dépasse d’une zone de glace ou de neige) sont des mots groenlandais directement adoptés en français et par d’autres idiomes, notamment l’anglais. Issu du dialecte des Inuits du Canada, le mot iglo(o) [iglu signifiant « maison » en inuktitut] figure dans de nombreuses langues européennes, asiatiques et africaines.
Le mot le plus long
nalunaarasuartaatilioqateeraliorfinnialikkersaatiginialikkersaatilillaranatagoorunarsuarrooq
Composé de 92 lettres, ce mot signifie : « une fois de plus, ils ont essayé de construire une station de radio, mais apparemment elle n’est encore qu’à l’état de projet ».Ecoutez en VO le plus long mot groenlandais : d’autres langues peuvent-elles rivaliser ?
Basé sur ce principe, le groenlandais compte de nombreux termes (référencés dans les dialectes kalaallisut et inuktun dans cet article) pour désigner les divers types de glace, comme aniqsiq (une plaque flottante qui s’est détachée de la banquise et sort d’un fjord), aakkarneq (la fonte de la glace de mer par l’action du courant ou du temps), ammavoq (un passage navigable par bateau à travers la glace de mer), sikuiuitsoq (la glace de mer qui ne fond pas), sikoqannginnersaq (une zone libre de glace à l’intérieur de la banquise après la débâcle)…
« Ces mots relèvent souvent d’une base nominale (substantif) associée à un processus (action verbale), ce que l’on appelle l’aspect », souligne Ivani Fusellier-Souza, maître de conférences en sciences du langage. « Le groenlandais est une langue aspectuelle qui marque morphologiquement (dans le mot) la manière, la trajectoire, l’activité ou l’état d’une action, d’un processus. Par exemple, aniqsiq est un nom (plaque flottante) associé à deux processus : détacher de la banquise et sortir d’un fjord. »
De nombreux termes pour distinguer les types de neige
« L’environnement physique laisse ses marques sur chaque culture », relève le linguiste sami Ole Henrik Magga, qui a étudié la diversité de la terminologie de la langue same pour les rennes, la neige et la glace. À l’instar des Samis vivant en Laponie (lire Henrik, un Sami éleveur de rennes en Laponie), les Inuits ont une relation longue et intime avec l’environnement arctique.
Pour nommer les différents types de neige ou d’événements liés à la neige, les Inuits disposeraient dans leurs langues d’au moins 50 mots (53 en inuktitut, selon cet article du Washington Post et 40 en groenlandais, d’après ce décompte), voire bien plus (lire Do Inuits really have 50 words for snow?).
Ce chiffre fait débat et varie selon les spécialistes qui dénombrent tous les lexèmes qualifiant la neige ou seulement les mots-racines. Sans contestation possible, on trouve en groenlandais les termes qaniit (la neige qui descend en flottant) et qanniliuppaa (il s’est mis à neiger et il/elle a été pris/e par surprise) ou en inuktitut, les mots matsaaruti (une neige humide utilisée pour glacer les patins du traîneau) et pukak (de la poudreuse cristalline qui ressemble à du sel)… qui n’ont pas d’équivalent en français ni dans d’autres idiomes.
Au menu du jour : qaqquaq (foie de phoque bouilli) et qajulaat (soupe de phoque aux baies de camarine)
Comme les Samis qui possèdent plus de mille termes pour discerner les différents types de rennes, le vocabulaire des Inuits concernant les phoques est très riche – chassé pour sa viande, sa peau, sa graisse qui était utilisée pour s’éclairer ou cuisiner, l’animal nourrit également leurs dictons, leurs rituels et leurs mythes : cf. leurs croyances autour du phoque barbu (taqammuaq en groenlandais).
Pour les besoins de la chasse ou de l’art culinaire ont été forgés en groenlandais les mots angusaq (phoque tué avec une lance et ramené à la maison), qaattaq (pris dans un filet), qanitippaa (il/elle se trouve soudainement très près d’un phoque, qui apparaît juste à côté), qaqquaq (foie de phoque bouilli et séché) et qajulaat (soupe de phoque à base de baies de camarine).
De leur kayak ou en expédition en traîneau à chiens, les Inuits du Groenland peuvent distinguer et nommer le phoque [substantif] qui a rampé [manière] sur la glace et ne peut pas retrouver son chemin [trajectoire] dans l’eau (le paarnguliaq), l’animal [substantif] couché [état] sur la glace (un pattingatiq), sur la banquise ou un rocher (le qassimasoq), rampant [manière] sur la mer de glace (un paarmuliaq), ou celui qui se fait bronzer [état] sur la glace (l’uuttoq), l’équivalent sous nos latitudes et dans nos basses-cours du coq en pâte !
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Une réponse
Article passionnant donnant un aperçu du fonctionnement d’une langue inuite. Langue de nature « aspectuelle » marquant morphologiquement (dans la base nominale) le processus/activités/actions réalisées ou subies par les entités nominales (glace, neige, phoques)
Merci beaucoup !