Le mémorial de Chœung Ek, le Killing Field de S-21, la prison de Tuol Sleng
Une fois leurs aveux arrachés sous la torture des gardiens khmers rouges, les prisonniers de S-21 sont conduits de nuit au Killing Field (champ de massacre, de la mort) de Chœung Ek, un lieu isolé près de Phnom Penh, où ils étaient mis à mort. Transformé en mémorial, Chœung Ek permet aux Cambodgiens, notamment aux jeunes générations, de se recueillir et de rendre hommage aux victimes des Khmers rouges.
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Un champ de fosses communes
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Comme tout ce qui touche à S-21, où les premiers prisonniers et ceux jugés importants sont exécutés sur place, la procédure est précise et respectée à la lettre. Les détenus de S-21 torturés ayant passé aux aveux sont extirpés en pleine nuit de leurs cellules en leur faisant croire qu’ils allaient être « libérés pour une nouvelle maison » ou transférés « vers un nouveau centre ».
Yeux bandés et mains ligotées dans le dos, ils sont poussés dans deux ou trois camions qui stationnent feux éteints devant la prison ‒ trop faibles pour monter d’eux-mêmes, beaucoup devaient y être hissés. Chaque camion comprend 20 à 30 prisonniers et trois ou quatre gardiens. Entre 1976 et 1977, un convoi de deux à trois camions arrive tous les mois. À partir de 1978, des camions débarquent quotidiennement jusqu’à 300 personnes.
La mise à mort est leur métier
Dans le vacarme du générateur diesel qui se mêlait aux chants révolutionnaires diffusés par les haut-parleurs pour couvrir les cris des suppliciés, ils sont amenés au bord de fosses communes où les attendent leurs bourreaux qui viennent de creuser ces trous peu profonds après avoir exécuté leurs victimes précédentes.
Les prisonniers sont ensuite matraqués à mort sur place ‒ nuques brisées à coups de barre à mine en fer, d’essieu de char à bœufs, de manche de pioche. Puis ils s’effondrent ou sont jetés par leurs bourreaux dans les fosses devant lesquelles ils les ont fait s’agenouiller ou s’accroupir, yeux bandés et mains attachées dans le dos. Dans ces trous fraîchement creusés, un deuxième exécuteur pouvait les attendre afin de leur trancher la gorge. « Il ne convenait pas de gâcher une cartouche pour ces gens-là », ordonnaient les cadres khmers rouges. Pour parachever l’horreur et l’enfouir dans le secret, du DDT, utilisé également pour les champs alentour, était jeté sur les corps pour achever les éventuels survivants et masquer les odeurs.
Insoutenable
Les enfants exécutés à Chœung Ek, dont trois bébés, étaient projetés contre un arbre à la stature imposante (le fromager issu des régions tropicales) identifié comme le Killing Tree. Symbole de la brutalité et de la violence aveugles, cet arbre de la mort sert de mémorial pour les familles des victimes qui viennent s’y recueillir et y déposent des offrandes.
Son tronc vigoureux est recouvert de nœuds et de bracelets fabriqués à partir de fils de couleurs, où domine le rouge du drapeau cambodgien. Déposés en mémoire des victimes, ces bracelets matérialisent le lien entre les vivants et les morts. Leurs fils, qui s’entrelacent comme ceux des nœuds d’amour, rappellent l’unité du peuple cambodgien scellée dans sa volonté de se souvenir, la réconciliation du passé et du présent, l’union des vivants et des morts. Ces symboles visibles de la mémoire collective sont également présents au sommet des pieux qui entourent les fosses communes.
La Stupa du souvenir
Ce monument du souvenir, dans lequel il faut se faufiler, présente sur 17 niveaux (en référence au 17 avril 1975, prise de Phnom Penh par les Khmers rouges) des étagères contenant 9 000 crânes exhumés à Chœung Ek.
Classés par catégories d’âge (« moins de 20 ans », « 20 à 40 », « plus de 60 ») ou selon les instruments employés par les bourreaux, ces crânes, qui ont été examinés par des médecins légistes, sont présentés et conservés en mémoire des victimes.
Comment visiter le mémorial de Chœung Ek
Le site est ouvert de 7 h 30 à 17h30.
Il est situé à environ 45 minutes en tut-tuk de Phnom Penh.
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