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Le mémorial de Chœung Ek, le Killing Field de S-21, la prison de Tuol Sleng

05/02/2024
Laurent Lefèvre

Une fois leurs aveux arrachés sous la torture des gardiens khmers rouges, les prisonniers de S-21 sont conduits de nuit au Killing Field (champ de massacre, de la mort) de Chœung Ek, un lieu isolé près de Phnom Penh, où ils étaient mis à mort. Transformé en mémorial, Chœung Ek permet aux Cambodgiens, notamment aux jeunes générations, de se recueillir et de rendre hommage aux victimes des Khmers rouges.

Au début de l’existence de S-21, la prison de Tuol Sleng, les détenus étaient exécutés et enterrés sur place ou à proximité du complexe une fois leurs aveux extirpés sous la torture. À partir de 1977, le site d’exécution a été déplacé à Chœung Ek où ils étaient acheminés en camion. Entre 1976 et 1979, plus de 20 000 personnes, majoritairement des détenus de S-21 mais aussi des autres prisons du pays, ont été exécutées au Killing Field de Chœung Ek (champ de la mort), un lieu alors isolé, tenu secret et clôturé situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Phnom Penh.

LIRE AUSSI >> S-21, le musée du Génocide de Tuol Sleng. La machine de mort Khmer rouge, reportage publié dans le n°921 du magazine Historia daté de septembre 2023

Cambodge : une des principales fosses communes du killing field de Chœung Ek transformé en mémorial
Près de 130 fosses communes de différentes tailles ont été découvertes sur le site du Killing Field de Chœung Ek transformé en mémorial. Les plus importantes comme celle-ci ont été délimitées par des pieux et protégées par un toit.

Un champ de fosses communes

Dans cette ancienne plantation de longaniers qui servait de cimetière à la communauté chinoise, près de 130 fosses communes ont été découvertes ‒ les plus importantes ont été délimitées et protégées par un toit. Transformé aujourd’hui en mémorial, ce site arboré de plus de deux hectares bordés par un lac et des rizières reçoit la visite de nombreux Cambodgiens, comme ces scolaires en uniforme, croisés mardi 7 mars 2023, qui se confrontent à leur histoire récente et prennent conscience des souffrances endurées par la génération de leurs grands-parents.

Comme tout ce qui touche à S-21, où les premiers prisonniers et ceux jugés importants sont exécutés sur place, la procédure est précise et respectée à la lettre. Les détenus de S-21 torturés ayant passé aux aveux sont extirpés en pleine nuit de leurs cellules en leur faisant croire qu’ils allaient être « libérés pour une nouvelle maison » ou transférés « vers un nouveau centre ».

Yeux bandés et mains ligotées dans le dos, ils sont poussés dans deux ou trois camions qui stationnent feux éteints devant la prison ‒ trop faibles pour monter d’eux-mêmes, beaucoup devaient y être hissés. Chaque camion comprend 20 à 30 prisonniers et trois ou quatre gardiens. Entre 1976 et 1977, un convoi de deux à trois camions arrive tous les mois. À partir de 1978, des camions débarquent quotidiennement jusqu’à 300 personnes.

Cambodge : une des principales fosses communes du killing field de Chœung Ek transformé en mémorial
Des dizaines de bracelets sont accrochés en mémoire des victimes des Khmers rouges sur le Killing Tree du mémorial de Chœung Ek, un symbole visible de l’union des vivants et des morts.Des proches, des parents, des descendants des victimes accrochent en leur mémoire des bracelets, où domine le rouge du drapeau cambodgien, sur les pieux qui délimitent les fosses communes.

La mise à mort est leur métier

Éblouis par les projecteurs qui éclairaient également les terrains d’exécution, les prisonniers devaient répondre à l’appel de leur nom. Les gardes notaient leur identité et certains détenus émargeaient eux-mêmes, signant leur arrêt de mort. Cette nouvelle liste était alors comparée avec celle produite par S-21 ‒ l’une de ces listes figure parmi les archives du musée. Macabrement scrupuleuse, cette bureaucratie de la mort ne négligeait nul détail, car il fallait s’assurer qu’aucun prisonnier n’ait réussi à s’échapper pendant son transfert.

Dans le vacarme du générateur diesel qui se mêlait aux chants révolutionnaires diffusés par les haut-parleurs pour couvrir les cris des suppliciés, ils sont amenés au bord de fosses communes où les attendent leurs bourreaux qui viennent de creuser ces trous peu profonds après avoir exécuté leurs victimes précédentes.

Les prisonniers sont ensuite matraqués à mort sur place ‒ nuques brisées à coups de barre à mine en fer, d’essieu de char à bœufs, de manche de pioche. Puis ils s’effondrent ou sont jetés par leurs bourreaux dans les fosses devant lesquelles ils les ont fait s’agenouiller ou s’accroupir, yeux bandés et mains attachées dans le dos. Dans ces trous fraîchement creusés, un deuxième exécuteur pouvait les attendre afin de leur trancher la gorge. « Il ne convenait pas de gâcher une cartouche pour ces gens-là », ordonnaient les cadres khmers rouges. Pour parachever l’horreur et l’enfouir dans le secret, du DDT, utilisé également pour les champs alentour, était jeté sur les corps pour achever les éventuels survivants et masquer les odeurs.

Les enfants exécutés à Chœung Ek étaient projetés contre un arbre à la stature imposante (le fromager issu des régions tropicales) identifié comme le Killing Tree. Symbole de la brutalité et de la violence aveugles, cet arbre de la mort sert de mémorial pour les familles des victimes qui viennent s’y recueillir et y déposent des offrandes. Son tronc vigoureux est recouvert de nœuds et de bracelets fabriqués à partir de fils de couleurs, où domine le rouge du drapeau cambodgien. Déposés en mémoire des victimes, ces bracelets matérialisent le lien entre les vivants et les morts.
Des dizaines de bracelets colorés sont accrochés en mémoire des victimes des Khmers rouges sur le Killing Tree du mémorial de Chœung Ek, un symbole visible de l’union des vivants et des morts.

Insoutenable

D’autres méthodes barbares et rudimentaires ont été utilisées : des prisonniers ont été supprimés à la hache, à la baïonnette ou égorgées au couteau ou par des feuilles acérées de palmier à sucre employées par les paysans pour tuer leurs cochons.

Les enfants exécutés à Chœung Ek, dont trois bébés, étaient projetés contre un arbre à la stature imposante (le fromager issu des régions tropicales) identifié comme le Killing Tree. Symbole de la brutalité et de la violence aveugles, cet arbre de la mort sert de mémorial pour les familles des victimes qui viennent s’y recueillir et y déposent des offrandes.

Son tronc vigoureux est recouvert de nœuds et de bracelets fabriqués à partir de fils de couleurs, où domine le rouge du drapeau cambodgien. Déposés en mémoire des victimes, ces bracelets matérialisent le lien entre les vivants et les morts. Leurs fils, qui s’entrelacent comme ceux des nœuds d’amour, rappellent l’unité du peuple cambodgien scellée dans sa volonté de se souvenir, la réconciliation du passé et du présent, l’union des vivants et des morts. Ces symboles visibles de la mémoire collective sont également présents au sommet des pieux qui entourent les fosses communes.

Sur 17 niveaux ‒ en référence au funeste 17 avril 1975, prise de Phnom Penh par les Khmers rouges ‒, la Stupa du souvenir présente 9 000 crânes exhumés des fosses communes de Chœung Ek.
Sur 17 niveaux ‒ en référence au funeste 17 avril 1975, prise de Phnom Penh par les Khmers rouges ‒, la Stupa du souvenir présente 9 000 crânes exhumés des fosses communes de Chœung Ek.

La Stupa du souvenir

Le tour du site se termine par la visite de la Stupa du souvenir. Érigé en 1988, c’est le plus important monument édifié en mémoire des victimes du régime khmer rouge ‒ près de 350 charniers (dont 80 sont devenus des lieux de mémoire) ont été retrouvés dans tout le pays, comprenant chacun entre une dizaine et des milliers de victimes.

Ce monument du souvenir, dans lequel il faut se faufiler, présente sur 17 niveaux (en référence au 17 avril 1975, prise de Phnom Penh par les Khmers rouges) des étagères contenant 9 000 crânes exhumés à Chœung Ek.

Classés par catégories d’âge (« moins de 20 ans », « 20 à 40 », « plus de 60 ») ou selon les instruments employés par les bourreaux, ces crânes, qui ont été examinés par des médecins légistes, sont présentés et conservés en mémoire des victimes.

Comment visiter le mémorial de Chœung Ek

Le site est ouvert de 7 h 30 à 17h30.
Il est situé à environ 45 minutes en tut-tuk de Phnom Penh.

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