Île de Marajó : capture et dégustation au milieu de la mangrove du turu, le caviar aphrodisiaque de l’Amazonie
Nichée dans le delta de l'Amazone, Marajó, plus grande île fluviale au monde, abrite un animal fascinant : le turu, un mollusque à l’aspect vermiculaire. Mi-serpent mi-vairon, ce roi du camouflage se dissimule dans ses eaux sombres et se cache dans les arbres morts de ses mangroves. Symbole de connexion avec la nature et mets raffiné, il nourrit l’imaginaire et les papilles des communautés autochtones. Lancés sur ses traces, nous allons le dénicher, en douceur, dans les trous qu’il a creusés au cœur des palétuviers et le savourer, cru relevé d’un zeste de citron, en pleine forêt amazonienne.
Microcosme fascinant de la diversité écologique de l’Amazonie, Marajó est bercée par les flots salés de l’océan qui se mélangent aux eaux douces des fleuves Amazone, Tocantins, l’un des principaux affluents du Rio Amazonas, Pará et Arapiuns. Connu comme le caviar aphrodisiaque de l’Amazonie, le turu se cache dans les eaux fluviales opaques et se dissimule aux creux des arbres morts qui peuplent les mangroves.
Pieds nus au milieu de la forêt amazonienne
En chemin, un grondement de tonnerre retentit au loin : une chuva forte – ondée tropicale drue mais passagère en juillet – se prépare. À mesure que l’on s’enfonce dans la forêt amazonienne, le ballet des ombres et des scintillements de lumières traversant la canopée s’estompe et cède la place à la pénombre qui s’intensifie tout comme les bruits ambiants et indistincts.
Après avoir rassemblé son petit groupe sous les racines aériennes du manguier, le père de Renan, Nonato, un pêcheur qui a toujours vécu de la mer, ramasse quelques troncs d’arbres morts qui jonchent le sol. Fausse piste : aucun turu ne se cache à l’intérieur. Symbole de connexion spirituelle avec la nature associé à des rituels célébrés par des communautés amazoniennes, l’animal garde tout son mystère dans cette cathédrale végétale devenue étrangement silencieuse.
La capture du turu
« Dr Jones, Dr Jones, nous ne sommes pas seuls ! Regardez ! Des insectes. On dirait des insectes ! », aurait pu s’écrier Short Round dit Demi-Lune dans une célèbre scène d’Indiana Jones et le Temple maudit. Désolé Short Round, ce ne sont ni des insectes ni des serpents, mais des turus, des mollusques bivalves possédant deux coquilles reliées par une charnière.
Habitant typique des eaux douces de l’Amazonie, ce gastéropode dulcicole, réputé dans les traditions locales pour sa chair aphrodisiaque, vit dans les rivières, les lacs et les zones humides de la forêt tropicale. Préférant les eaux calmes de surface à fond vaseux, il se dissimule parmi les sédiments et la végétation aquatique, où il se nourrit de débris organiques et de micro-organismes.
« Animal muito inteligente »
Il sort de l’eau, glisse sur le sol argileux et choisit un arbre afin de se protéger des prédateurs et des variations de température du fleuve. Il s’y introduit par les racines et y fait son trou, au sens propre et figuré, se nourrissant du bois et y creusant des cavités dans lesquelles il se love. Connu depuis l’Antiquité pour sa boulimie, il s’attaque même aux coques des navires comme le conte L’Épopée de Gilgamesh. « Peste des vaisseaux de l’Amazone, il est étonnant qu’un petit animal si méprisable ait tant de force et d’activité qu’il ronge, transperce et perce les navires et n’importe quel bois, le rendant comme une passoire ! », note au XVIIIe siècle le père João Daniel (1722-1776).
Ce nouvel environnement offre un terrain propice au turu, lui fournissant un abri sûr et de quoi se sustenter grâce aux micro-organismes et aux débris végétaux qui s’y accumulent en permanence. Jusqu’au fatal coup de hache de Nonato, il pensait pouvoir vivre tranquille et heureux au creux de son arbre.
Une fois le tronc fendu en deux, certains turus se retrouvent à découvert et il n’y a plus qu’à les saisir délicatement comme on ramasse des coquillages mis à nu à marée basse.
D’autres demeurent dans les cavités qu’ils ont eux-mêmes creusées en se nourrissant du bois. À rebours d’une chasse brutale ou d’une pêche à l’aveugle, leur capture s’apparente à un exercice de domptage : il faut les rassurer à la manière d’un observateur d’oiseaux, qui use de discrétion et d’un appeau pour les approcher. Pour cet « animal muito inteligente » (très intelligent), la voix humaine et les onomatopées locales font office d’appât. Comme apprivoisé et rasséréné, il se laisse alors attraper ainsi que l’illustre cette vidéo déconseillée aux personnes allergiques aux insectes, reptiles, mollusques ou arachnides :
À table !
Comme les Marajoaras, les habitants de Marajó, qui le mangent avec seulement du citron et du sel, nous allons le savourer cru, de tout son long comme un spaghetti ou plié en deux. En quelques minutes, il ne reste plus rien : tout a été englouti, y compris la sauce du turu. Relevée d’un zeste d’agrume, sa chair tendre fait vite oublier l’image du mollusque gluant d’aspect noirâtre qui se dissimulait quelques minutes auparavant dans les entrailles du bois mort. Sa texture et son goût délicats rappellent celui de l’huître. Sa fraîcheur évoque son milieu aquatique d’origine, l’Amazone et ses eaux impétueuses.
Un mets prisé des gourmets qui fait partie du patrimoine culinaire de l’Amazonie
« Les Indiens de l'Amazone vont à marée basse le long des plages boueuses, ouvrent les bâtons pourris dont les rivières sont pleines et remplissent en peu de temps des plats ou des calebasses de ces animaux méprisables et dégoûtants qu'ils ramènent chez eux. Puis ils les font mijoter et se régalent. »
Méconnu en dehors des régions amazoniennes, le turu est apprécié par les Japonais et les Coréens du Sud, lesquels raffolent de sa chair succulente qui a la réputation de parfaitement s’accommoder aux épices et aux herbes endémiques créant des flaveurs riches et complexes. Espèce menacée soumise à une pêche réglementée, le turu que l’on trouve sur l’île de Marajó et sur les côtes du Pará ne s’exporte pas : il se mange exclusivement sur place.
Contrat rempli donc pour notre dégustation de turu préparé dans son environnement naturel et savouré sur-le-champ, debout, pieds nus en pleine mangrove amazonienne : une expérience gustative inoubliable qui coche toutes les cases du circuit court, local et durable !
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Une réponse
Le Marajó est pour les braves… et bravo pour ce reportage qui montre les richesses marajoaras dans sa plus profondes racines car les turús est l’aliment qui restaure l’énergie des gens qui habitent sur l’île, c’est le miracle de la mangrove dont les racines pourrissent et font tomber l’arbre qui donne ces vers magiques… Merci d’avoir montrer notre Amazonie comme elle est de dedans🙏❤️ Bravoooo👏👏👏👏👏