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Île de Marajó : capture et dégustation au milieu de la mangrove du turu, le caviar aphrodisiaque de l’Amazonie

13/03/2024
Laurent Lefèvre

Nichée dans le delta de l'Amazone, Marajó, plus grande île fluviale au monde, abrite un animal fascinant : le turu, un mollusque à l’aspect vermiculaire. Mi-serpent mi-vairon, ce roi du camouflage se dissimule dans ses eaux sombres et se cache dans les arbres morts de ses mangroves. Symbole de connexion avec la nature et mets raffiné, il nourrit l’imaginaire et les papilles des communautés autochtones. Lancés sur ses traces, nous allons le dénicher, en douceur, dans les trous qu’il a creusés au cœur des palétuviers et le savourer, cru relevé d’un zeste de citron, en pleine forêt amazonienne.

Préparez-vous à déguster le meilleur plat de l’île, un mets encore plus goûteux que l’huître : le turu de Marajó », annonce Renan, guide de Marajó, la plus grande île fluviale au monde localisée dans le delta de l’Amazone (État du Pará, au nord du Brésil). Après une courte traversée en bateau depuis la plage de Maloca qui borde le village de pêcheurs de Pesqueiro situé à 10 km de la municipalité de Soure, nous arrivons dans la mangrove qui abrite le fameux turu – prononcez « tourou » !

Microcosme fascinant de la diversité écologique de l’Amazonie, Marajó est bercée par les flots salés de l’océan qui se mélangent aux eaux douces des fleuves Amazone, Tocantins, l’un des principaux affluents du Rio Amazonas, Pará et Arapiuns. Connu comme le caviar aphrodisiaque de l’Amazonie, le turu se cache dans les eaux fluviales opaques et se dissimule aux creux des arbres morts qui peuplent les mangroves.

Pieds nus au milieu de la forêt amazonienne

On accède à l’intérieur de la mangrove par une petite échelle en bois. Direction un immense manguier, qui n’est qu’à quelques centaines de mètres du rivage. Pour le rejoindre, on emprunte pieds nus un sentier d’argile afin de ne pas perturber l’habitat naturel du turu soumis à des pressions croissantes en raison de la déforestation, de la pollution et de la surpêche.

En chemin, un grondement de tonnerre retentit au loin : une chuva forte – ondée tropicale drue mais passagère en juillet – se prépare. À mesure que l’on s’enfonce dans la forêt amazonienne, le ballet des ombres et des scintillements de lumières traversant la canopée s’estompe et cède la place à la pénombre qui s’intensifie tout comme les bruits ambiants et indistincts.

Après avoir rassemblé son petit groupe sous les racines aériennes du manguier, le père de Renan, Nonato, un pêcheur qui a toujours vécu de la mer, ramasse quelques troncs d’arbres morts qui jonchent le sol. Fausse piste : aucun turu ne se cache à l’intérieur. Symbole de connexion spirituelle avec la nature associé à des rituels célébrés par des communautés amazoniennes, l’animal garde tout son mystère dans cette cathédrale végétale devenue étrangement silencieuse.

Nichée dans le delta de l'Amazone, Marajó, plus grande île fluviale au monde, abrite un animal fascinant : le turu, un mollusque à l’aspect vermiculaire. Mi-serpent mi-vairon, ce roi du camouflage se dissimule dans ses eaux sombres et se cache dans les arbres morts de ses mangroves. Symbole de connexion avec la nature et mets raffiné, il nourrit l’imaginaire et les papilles des communautés autochtones. Lancés sur ses traces, nous allons le dénicher, en douceur, dans les trous qu’il a creusés au cœur des palétuviers et le savourer, cru relevé d’un zeste de citron, en pleine forêt amazonienne.

La capture du turu

Nu-pieds en short et chemisette, Nonato part en quête de nouveaux troncs d’arbres et disparaît rapidement derrière la densité de la végétation tropicale. Quelques minutes plus tard, il réapparaît les bras chargés de troncs, avec la fierté d’un chasseur de champignons de retour de sa balade en sous-bois après une cueillette abondante. Il les pose à nos pieds et saisit sa hache. Sous nos regards curieux et médusés, il fend sans difficulté le premier bout de bois en deux. L’intérieur, qui a un aspect gluant, se met soudain à bouger : des dizaines de formes visqueuses et vermiculaires s’agitent et sortent des trous du tronc creux et humide perclus de cavités.

« Dr Jones, Dr Jones, nous ne sommes pas seuls ! Regardez ! Des insectes. On dirait des insectes ! », aurait pu s’écrier Short Round dit Demi-Lune dans une célèbre scène d’Indiana Jones et le Temple maudit. Désolé Short Round, ce ne sont ni des insectes ni des serpents, mais des turus, des mollusques bivalves possédant deux coquilles reliées par une charnière.

Habitant typique des eaux douces de l’Amazonie, ce gastéropode dulcicole, réputé dans les traditions locales pour sa chair aphrodisiaque, vit dans les rivières, les lacs et les zones humides de la forêt tropicale. Préférant les eaux calmes de surface à fond vaseux, il se dissimule parmi les sédiments et la végétation aquatique, où il se nourrit de débris organiques et de micro-organismes.

« Animal muito inteligente »

Prince des camoufleurs de l’Amazonie qui compte de nombreuses espèces animales et végétales expertes en dissimulation – serpent caméléon, crapaud cornu, lézard gecko, phasme feuille morte, liane-serpent… –, le turu ne se contente pas d’adopter une nouvelle apparence ou de modifier sa couleur. Il change de milieu : il quitte son habitat aquatique pour la terre ferme afin de trouver refuge dans les arbres morts immergés ou qui bordent la mangrove – kapokiers, cèdres, châtaigniers d’Amazonie, palétuviers.

Il sort de l’eau, glisse sur le sol argileux et choisit un arbre afin de se protéger des prédateurs et des variations de température du fleuve. Il s’y introduit par les racines et y fait son trou, au sens propre et figuré, se nourrissant du bois et y creusant des cavités dans lesquelles il se love. Connu depuis l’Antiquité pour sa boulimie, il s’attaque même aux coques des navires comme le conte LÉpopée de Gilgamesh. « Peste des vaisseaux de l’Amazone, il est étonnant qu’un petit animal si méprisable ait tant de force et d’activité qu’il ronge, transperce et perce les navires et n’importe quel bois, le rendant comme une passoire ! », note au XVIIIe siècle le père João Daniel (1722-1776).

Ce nouvel environnement offre un terrain propice au turu, lui fournissant un abri sûr et de quoi se sustenter grâce aux micro-organismes et aux débris végétaux qui s’y accumulent en permanence. Jusqu’au fatal coup de hache de Nonato, il pensait pouvoir vivre tranquille et heureux au creux de son arbre.

Une fois le tronc fendu en deux, certains turus se retrouvent à découvert et il n’y a plus qu’à les saisir délicatement comme on ramasse des coquillages mis à nu à marée basse.

D’autres demeurent dans les cavités qu’ils ont eux-mêmes creusées en se nourrissant du bois. À rebours d’une chasse brutale ou d’une pêche à l’aveugle, leur capture s’apparente à un exercice de domptage : il faut les rassurer à la manière d’un observateur d’oiseaux, qui use de discrétion et d’un appeau pour les approcher. Pour cet « animal muito inteligente » (très intelligent), la voix humaine et les onomatopées locales font office d’appât. Comme apprivoisé et rasséréné, il se laisse alors attraper ainsi que l’illustre cette vidéo déconseillée aux personnes allergiques aux insectes, reptiles, mollusques ou arachnides :

Pour capturer les turus lovés dans les trous qu’ils ont percés à l’intérieur des troncs d’arbres morts regorgeant d’humidité, il faut les tirer (« Puxar, Puxar! » : prononcer « pouchar » en portugais brésilien) délicatement de leur abri, en usant de douceur et de ruse.
Nichée dans le delta de l'Amazone, Marajó, plus grande île fluviale au monde, abrite un animal fascinant : le turu, un mollusque à l’aspect vermiculaire. Mi-serpent mi-vairon, ce roi du camouflage se dissimule dans ses eaux sombres et se cache dans les arbres morts de ses mangroves. Symbole de connexion avec la nature et mets raffiné, il nourrit l’imaginaire et les papilles des communautés autochtones. Lancés sur ses traces, nous allons le dénicher, en douceur, dans les trous qu’il a creusés au cœur des palétuviers et le savourer, cru relevé d’un zeste de citron, en pleine forêt amazonienne.

À table !

Pour préparer notre « degustação de turu » au milieu de la forêt amazonienne, Suzani, la mère de Renan, a tout prévu : une table pliante, ses ustensiles de cuisine, des citrons verts, du sel, une sauce à base d’ananas, des herbes locales et de l’eau claire pour le rincer abondamment.

Comme les Marajoaras, les habitants de Marajó, qui le mangent avec seulement du citron et du sel, nous allons le savourer cru, de tout son long comme un spaghetti ou plié en deux. En quelques minutes, il ne reste plus rien : tout a été englouti, y compris la sauce du turu. Relevée d’un zeste d’agrume, sa chair tendre fait vite oublier l’image du mollusque gluant d’aspect noirâtre qui se dissimulait quelques minutes auparavant dans les entrailles du bois mort. Sa texture et son goût délicats rappellent celui de l’huître. Sa fraîcheur évoque son milieu aquatique d’origine, l’Amazone et ses eaux impétueuses.

Nichée dans le delta de l'Amazone, Marajó, plus grande île fluviale au monde, abrite un animal fascinant : le turu, un mollusque à l’aspect vermiculaire. Mi-serpent mi-vairon, ce roi du camouflage se dissimule dans ses eaux sombres et se cache dans les arbres morts de ses mangroves. Symbole de connexion avec la nature et mets raffiné, il nourrit l’imaginaire et les papilles des communautés autochtones. Lancés sur ses traces, nous allons le dénicher, en douceur, dans les trous qu’il a creusés au cœur des palétuviers et le savourer, cru relevé d’un zeste de citron, en pleine forêt amazonienne.
D’aspect vermiforme, le turu que l’on peut confondre avec un vairon mesure en moyenne 5 à 10 cm, mais peut approcher le demi-mètre, comme ce spécimen qui sera préparé par Suzani et servi agrémenté de citron ou d’une sauce à base d’ananas.

Un mets prisé des gourmets qui fait partie du patrimoine culinaire de l’Amazonie

Populaire dans la région, le turu est connu et apprécié des populations autochtones, bien avant la colonisation portugaise comme en témoigne le père João Daniel :

« Les Indiens de l'Amazone vont à marée basse le long des plages boueuses, ouvrent les bâtons pourris dont les rivières sont pleines et remplissent en peu de temps des plats ou des calebasses de ces animaux méprisables et dégoûtants qu'ils ramènent chez eux. Puis ils les font mijoter et se régalent. »

Soigneusement nettoyé, le turu se prépare de différentes manières selon les traditions locales : bouilli, frit, grillé, fumé, rôti ou cuit à la vapeur, il se savoure accompagné de légumes et de riz ou incorporé dans des ragoûts ou des soupes, le caldo de turu, un plat traditionnel au sein des communautés autochtones. Pour certaines, il représente une source importante de protéines et de minéraux (fer notamment).

Méconnu en dehors des régions amazoniennes, le turu est apprécié par les Japonais et les Coréens du Sud, lesquels raffolent de sa chair succulente qui a la réputation de parfaitement s’accommoder aux épices et aux herbes endémiques créant des flaveurs riches et complexes. Espèce menacée soumise à une pêche réglementée, le turu que l’on trouve sur l’île de Marajó et sur les côtes du Pará ne s’exporte pas : il se mange exclusivement sur place.

Contrat rempli donc pour notre dégustation de turu préparé dans son environnement naturel et savouré sur-le-champ, debout, pieds nus en pleine mangrove amazonienne : une expérience gustative inoubliable qui coche toutes les cases du circuit court, local et durable !

Nichée dans le delta de l'Amazone, Marajó, plus grande île fluviale au monde, abrite un animal fascinant : le turu, un mollusque à l’aspect vermiculaire. Mi-serpent mi-vairon, ce roi du camouflage se dissimule dans ses eaux sombres et se cache dans les arbres morts de ses mangroves. Symbole de connexion avec la nature et mets raffiné, il nourrit l’imaginaire et les papilles des communautés autochtones. Lancés sur ses traces, nous allons le dénicher, en douceur, dans les trous qu’il a creusés au cœur des palétuviers et le savourer, cru relevé d’un zeste de citron, en pleine forêt amazonienne.
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Une réponse

  1. Le Marajó est pour les braves… et bravo pour ce reportage qui montre les richesses marajoaras dans sa plus profondes racines car les turús est l’aliment qui restaure l’énergie des gens qui habitent sur l’île, c’est le miracle de la mangrove dont les racines pourrissent et font tomber l’arbre qui donne ces vers magiques… Merci d’avoir montrer notre Amazonie comme elle est de dedans🙏❤️ Bravoooo👏👏👏👏👏

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