Ascension du Morro dos Dois Irmãos :
découvrir d'en haut un Rio divisé de toute beauté
Depuis les hauteurs de la favela pacifiée de Vidigal (zona sul de Rio de Janeiro), un sentier aménagé, balisé et entretenu par les habitants permet d’atteindre sans difficulté le sommet des Dois Irmãos (les « deux frères »), un morro mythique pour les Cariocas. À son point culminant, toute la ville défile sous vos yeux comme si vous assistiez au carnaval depuis les tribunes du Sambadrome : un Rio double, tiré en deux exemplaires, « un de luxe et un de désastre ». Dans le cas de Vidigal, ses résidents, dont les habitations surplombent le quartier huppé d’Ipanema, ont repris leur destin en main.
« Les lumières brillent à Vidigal. Et elles n’ont pas besoin de toi. Les Dois Irmãos, non plus, n’ont pas besoin de toi », chante [1], après une rupture amoureuse, Marina Lima en 1987. Même si depuis la favela de Vidigal a bien changé, ces symboles de la beauté et de la grandeur de Rio de Janeiro ont conservé toute leur splendeur et il est possible de réaliser en solo l’ascension des « deux frères », comme ce 2 novembre 2023 (Dia de Finados, jour des Morts férié au Brésil), où l’on ne croise en chemin que quelques marcheurs brésiliens.
Négligée par les touristes qui découvrent en téléphérique le Pain de Sucre ou accèdent au Christ rédempteur en train, cette randonnée sans difficulté commence en haut du morro de Vidigal, qui surplombe le quartier huppé d’Ipanema (zone sud de Rio). Elle permet de contempler du sommet des « deux frères » l’une des plus belles vues sur la ville.
Une carte postale de Rio
Culminant à 533 mètres au-dessus du niveau de la mer, ils surplombent le Pain de Sucre (396 m), que l’on distingue de leur sommet derrière la Pedra do Arpoador.Deux frères, quand l’aube est haute et qu’à tes pieds gisent les instruments, j’ai appris à respecter ta verticalité et à me méfier de ton silence. Je crois entendre le pouls du passé, c’est comme si la roche dilatée était un concentré de temps.
Vidigal, « la favela des artistes »
Situé sur les hauteurs de Vidigal, un sentier de 1,5 km permet d’atteindre le sommet des Dois Irmãos en moins d’une heure. Pour se faire déposer à l’entrée de ce chemin (a trilha ecológica do Vidigal), on peut emprunter une des nombreuses motos-taxis qui stationnent en bas du quartier sur la Praça do Vidigal.
Cette place, où les locaux attendent leur bus, borde l’avenue Niemeyer. Au début du XXe siècle, les ouvriers qui construisent cette route longeant la corniche face à l’océan Atlantique installent leurs baraques – les premières habitations de Vidigal – sur les hauteurs près du chantier.
Derrière la moto, accrochez-vous, notamment dans les virages en épingle à cheveux, car cela grimpe sec ! Comme dans un road-movie survitaminé, vous pourrez admirer pendant la montée les très belles peintures murales, porteuses de messages politiques et revendicatifs, qui servent de décor à la favela.
La route étroite, où l’on se croise difficilement, est parsemée de petits commerces (lojas) – épiceries, restaurants, bars, etc. – tenus par les habitants, pour la plupart nés à Vidigal comme le jovial propriétaire de la Esquina da Pizza do Bento.
Objet d’un conflit sanglant dans les années 1990 entre factions criminelles de Rocinha et de Vidigal, cette dernière a été pacifiée avec l’arrivée, le 18 janvier 2012, de la 19e Unité de police pacificatrice (UPP). Vidigal dispose aujourd’hui d’hébergements touristiques (auberges de jeunesse, pousadas) et de nombreux commerces. Il est agréable d’y séjourner quelques jours, de se balader en journée à pied dans ses ruelles sans noms non identifiées par les GPS et de rencontrer ses habitants.
Surnommée la « favela chic de Rio », elle a connu un phénomène de spéculation immobilière au moment de la Coupe du monde de football en 2014, avec l’installation d’artistes et de « gringos » en bas du quartier dans une allée rebaptisée « la rue des riches ».
Comptant environ 50 000 habitants selon une estimation locale, elle est réputée pour son école-troupe de théâtre, Nós do Morro. Créée en 1986 par l’acteur et coach artistique Guti Fraga, elle a formé des générations de comédiens originaires du quartier, dont Roberta Rodrigues (la Berenice du film Cidade de Deus) et Thiago Martins.
La trilha ecológica do Vidigal
Ouverte depuis une dizaine d’années, la trilha ecológica do Vidigal (« sentier écologique de Vidigal ») a été aménagée par les habitants qui l’entretiennent régulièrement. Avant de s’élancer, il faut s’acquitter d’un droit d’entrée fixé à 10 reais (1,86 €) ou un kilo de nourriture qui finance les projets de développement de la favela.
Facile et bien balisée, la trilha traverse une partie de la forêt tropicale de Tijuca, poumon vert de Rio avec sa végétation luxuriante – orchidées, lianes, figuiers, flamboyants roses et rouges, jacarandas… La zone est habitée par de petits mammifères (écureuils, tatous…), différentes espèces de singes (hurleurs, capucins, araignées, ouistitis à touffes noires), d’oiseaux – perroquets, toucans, colibris, buses, hibou des marais…
En chemin, deux panoramas vertigineux sur la ville se dévoilent : l’un sur le quartier ultrachic de São Conrado – avec son golf, ses hôtels classieux en bord de plages (Praia da Gávea et do Pepino), son centre commercial haut de gamme – et l’autre sur la favela de Rocinha. Comme une illustration frappante de la division socio-spatiale de Rio, qui compte 1 074 favelas, où résident près de 1,5 million de personnes, soit 22 % de sa population.
Rocinha, la plus importante favela de Rio
Avec plus de 67 000 habitants (l’équivalent de la ville de Calais), Rocinha est, selon le dernier recensement de l’Institut brésilien de géographie et de statistique effectué en 2022, la principale favela de Rio et la deuxième la plus peuplée du Brésil, derrière celle de Sol Nascente, de Brasília, la capitale.
« Les favelas de Rio aiment les hauteurs. Rocinha, c’est une ville éventrée, un envers de ville, des entrailles de ville : chaque édifice semble reposer non pas sur le sol, mais sur un autre édifice. À sa cime, les bicoques qui couronnent le piton ne sont même plus reliées aux services publics, elles sont livrées à leur désastre, à leur solitude, comme si l’enfer était dans le ciel, non dans les entrailles de la Terre », relève Gilles Lapouge [2].
Dans tout le pays, l’Institut dénombre 11 403 favelas définies comme une « forme d’occupation irrégulière de terrains à des fins de logement dans les zones urbaines caractérisée par un schéma urbain erratique, un manque de services publics essentiels et une localisation dans des zones soumises à des restrictions d’occupation ». Environ 16 millions de personnes y vivent, soit près de 40 % de plus qu’en 2012.
Une vue impressionniste sur la ville
Formée entre mer et montagnes, Rio, la Cidade Maravilhosa (Cité merveille), mérite bien son autre surnom de Cidade cartão-postal, la ville carte postale.
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