Randonner sur l’île de Santo Antão au Cap-Vert à la rencontre des paysans des nuages
À Santo Antão au Cap-Vert, où cultiver est une forme d’alpinisme, les chasseurs de nuages scrutent le ciel et les brouillards qui s’accrochent aux sommets de cette île volcanique pour y trouver de l’eau de pluie qui ne tombe pas.
Une île au large de l’Océan, des terrasses en partie entretenues surplombant des vallées encaissées qui dévalent jusqu’aux côtes bordées de falaises escarpées, un climat tempéré dès que l’on prend de la hauteur avec de rares précipitations : un terrain idéal pour les randonneurs et… les chasseurs de nuages du Cap-Vert, les agriculteurs locaux qui récupèrent de l’eau, même quand il ne pleut pas. Bienvenue à Santo Antão, l’île montagneuse d’origine volcanique de cet archipel, un bout d’Afrique formé de dix îles (dont une déserte), où vivent 593 000 habitants, situé à environ 500 km à l’ouest de Dakar.
Les paysans des nuages
« Issues de l’air chaud et humide de la mer qui se condense sur les sommets, ces ‘précipitations occultes’ apportent la rosée et freinent l’évaporation », expliquent les chercheurs du Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation. Elles se déposent sur le sol, ruissellent et finissent par être réutilisées par les paysans de Santo Antão, qui ont développé l’un des écosystèmes agricoles les plus importants du Cap-Vert, avec son réseau séculaire de canaux d’irrigation en pierre.
Pour capter les gouttelettes de brume, notamment lors de grandes sécheresses, ils ont recours à des filets et comptent sur les arbres-fontaines comme les agaves. Sur des pentes si raides que la houe leur sert parfois de piolet, ces paysans-alpinistes « sème[nt], dans le même trou, maïs et haricot. Entre ces deux plantes, pas de concurrence : associés dès les semis commencés à la mi-juin, le grain jaune et le grain rouge se retrouvent dans l’assiette de cachupa, le plat national. »
Des maisons-caméléons
Construites en pierres volcaniques locales (basalte) et recouvertes de chaume relié avec des cordes en agave, leurs maisons traditionnelles, dont les toits recueillent l’eau des rares pluies, se fondent dans les champs de cannes à sucre ou disparaissent, tels des caméléons, dans la brume qui se condense en brouillard. Disposant majoritairement de l’électricité comme plus de 95 % de Cap-Verdiens, les occupants de ces maisons isolées ne doivent compter que sur eux-mêmes pour se ravitailler, à dos d’hommes, souvent des femmes. Comme pour les travaux des champs, les ânes, parfois bien chargés, apportent une aide précieuse et assurent même dans les endroits les plus reculés de l’île le transport scolaire.
Les ribeiras, des oasis dans un décor minéral
Malgré ces conditions, certaines vallées qui déboulent jusqu’aux côtes, les ribeiras, se révèlent de véritables oasis comme protégées par leur écrin minéral : profusion d’ignames blanches au moindre point d’eau, courges et manioc ombragés par les bananiers, qui côtoient des caféiers aux grains rouges (arabica) ou jaunes (robusta), des manguiers, des citronniers, des maracujas issus des passiflores à fruits…
Présents notamment dans le parc naturel de Cova et Paúl que l’on traverse sur des chemins de crête escarpés, ces écosystèmes humides de montagne offrent la plus grande variété de plantes endémiques de l’archipel. Et la marche se transforme vite en balade dans un verger exotique.
Des terrasses sculptant la montagne
Constituées de pierres locales, elles permettent de retenir l’eau, de freiner l’érosion, de créer des espaces plats et de délimiter les propriétés. Elles sont entretenues avec les moyens du bord par les paysans de Santo Antão, qui travaillent tous à la main sans machine veillant sur les ribeiras tels des botanistes chevronnés soignant leurs orchidées.
Dans la vallée Ribeira Grande en direction de Ponta do Sol, ces terrasses – des parcelles de quelques mètres carrés de maïs, l’une des bases de l’alimentation des Cap-Verdiens – s’accrochent à la montagne qui grimpe raide.
Les derniers forçats de la canne
Au-dessus des terrasses de cannes à sucre, on trouve des arbres à pain et des papayers qui fertilisent les sols, préservent et diffusent la ressource en eau. En fleurs juste avant Noël, la canne est coupée à la main à partir de janvier : un labeur dur et harassant, d’autant qu’il est difficile d’accéder à ces minuscules parcelles de terre gagnées sur la pente et épargnées par les tempêtes tropicales qui emportent tout sur leur passage.
Sur les hauteurs ou en contrebas des chemins étroits à flanc de montagne sur lesquels on ne peut se croiser, on repère vite des cannes à sucre abandonnées, comme un témoignage en creux du travail acharné nécessaire à leur entretien.
Des villages qui se dépeuplent
« Il y a de l’eau ici, mais tout le monde s’en va : du coup, il n’y a plus personne pour travailler », regrette Teotone, un paysan âgé d’une soixantaine d’années du village de Corvo. « C’est vraiment dommage d’avoir de l’eau qui part à la mer sans servir à la culture. C’est triste : cela fait de la peine de voir mon village à l’abandon. » Situé dans la vallée de Corvo, ce dernier est passé de 150 à une dizaine d’habitants aujourd’hui avec des maisons transformées en résidences secondaires occupées quelques semaines par an par leurs propriétaires, des Cap-Verdiens installés en ville ou expatriés.
« Même pour les paysans ‘privilégiés’ des montagnes, la pauvreté est grande. Peu de terres à cultiver, des loyers souvent lourds à payer dans un système complexe de fermage-métayage qui suscite de vives polémiques, des sécheresses qui peuvent durer de longues années et contraignent les paysans à manger leurs semences, détaillent les chercheurs du Technical Centre for Agricultural and Rural Cooperation. Le pire pourtant se trouve dans les zones basses. Là, pas de brumes, encore moins de pluie. »
« Plutôt un ciel sans dieux que sans nuages ! »
Pour faciliter l’irrigation des cultures et l’accès à l’eau potable des habitants, le gouvernement cap-verdien prévoit d’installer un filet attrape-brume de 600 m2 à Ribeira Grande, dans le nord de Santo Antão. « Au Cap-Vert, un mètre carré du système de récupération récolte recueille jusqu’à 12 litres d’eau douce en saison favorable, précisent Les Échos. Étant donné leur simplicité, [ils] ont des coûts d’exploitation minimes et peuvent être facilement gérés par des équipes non spécialisées. »
Installés et entretenus avec l’aide des populations locales, ces filets verticaux mobiles disposés face au vent, comme ici sur les hauteurs mexicaines, capturent dans leurs entrelacements de mailles les gouttelettes de la brume. Captant en moyenne « 30 % de l’eau d’un brouillard », selon le chercheur Franck Galland, ils ont fait la preuve de leur efficacité dans les zones désertiques comme dans l’Atacama chilien et montagneuses – dans la région de Sidi Ifni au sud-ouest du Maroc, en Afrique du Sud, au Guatemala sur les hauteurs de l’Altiplano…
Au Cap-Vert, les chasseurs locaux de brouillard se forment – notamment lors d’un séjour aux Canaries [en portugais] – et se perfectionnent à de nouvelles techniques, comme les filets à condensation montés sur des structures verticales. « Notre objectif est d’utiliser cette eau pour l’irrigation goutte à goutte, dans le but de restaurer les écosystèmes et de garantir la sécurité nutritionnelle de notre île, grâce à l’agroécologie », explique Dheeraj Jayant, directeur de l’association Biflores qui aide les habitants des communautés de Brava, la plus petite île habitée du Cap-Vert. >
Si les conditions sont idéales, il est possible, selon lui, de capter jusqu’à 400 litres de l’atmosphère en une journée et de la stocker dans des réservoirs. Malgré les difficultés techniques et l’éloignement, l’association et les communautés de l’île sont « déterminées à former leurs chasseurs de brouillard et à surmonter les obstacles, dans le respect des écosystèmes. » L’espoir est donc à l’horizon comme le souligne cet adage vietnamien : « Ne cherche pas dans l’océan, ce que tu peux trouver dans une goutte d’eau. »
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3 Responses
Super. Três bien.
Une plongée captivante dans la réalité des paysans au Cap-Vert. L’enracinement profond des habitants dans leur terre se manifeste à travers leur quête de techniques agricoles durables, mettant en avant l’agriculture raisonnée et le consortium de végétaux comme piliers fondamentaux de leur approche. J’apprécie la poésie des images évocatrices de nuages, ajoutant une dimension presque mystique à la vie agricole capverdienne. Les adages parsemant le récit ajoutent une touche culturelle. Merci pour cette fenêtre sur un petit bout du monde qui nous offre une perspective inspirante.
Très beau texte, instructif et poétique à la fois. Très belle amorce: « À Santo Antão au Cap-Vert, où cultiver est une forme d’alpinisme, les chasseurs de nuages scrutent le ciel et les brouillards qui s’accrochent aux sommets de cette île volcanique pour y trouver de l’eau de pluie qui ne tombe pas. » Ça donne envie d’aller y faire de la randonnée. Merci!