Îles Lofoten : mon premier jour sur un bateau de pêche
Une journée au milieu de la mer de Norvège, au large du village de pêcheurs de Stamsund, dans les îles Lofoten pour pêcher le skrei, le cabillaud arctique norvégien sur le bateau de Roar, entre tradition et moyens modernes de navigation.
« Il n’y a pas de beauté absolue… sans une certaine étrangeté. » La citation d’Edgar Allan Poe n’a peut-être jamais été aussi vraie que pour les îles Lofoten. Classées parmi les plus beaux archipels, les Lofoten sont entourées par le maelstrom, l’un des plus forts courants de marée du monde, qui a inspiré une nouvelle, Descente dans le Maelstrom, à l’auteur du Corbeau. Principaux acteurs du commerce du cabillaud, les pêcheurs locaux ont appris à dompter le danger à la barre de leur bateau. Pendant des siècles, ils ont développé un imaginaire et un mode de vie liés à la mer, à ses périls et à ses ressources.
Dans le village de pêcheurs de Stamsund, l’auberge de jeunesse Justad Rorbuer og Vandrerhjem est un exemple typique de rorbuer transformé en hébergement pour touristes. Peinte en rouge et construite sur pilotis, cette maison des années 1930 a d’abord logé, de façon sommaire, des morutiers venus de toute la Norvège pour la saison hivernale du cabillaud arctique (Arctic Cod), qui bat son plein de janvier à avril – pêche la plus importante au monde, qui est à l’origine de toutes les recettes à base de morue.
Depuis des millénaires, les cabillauds descendent de la mer glaciale de Barents pour frayer dans les eaux des Lofoten, où ils sont nés, un voyage de deux mois pendant lequel ils parcourent 2 000 km.
« Se diriger avec un joystick »
« En pistant leurs nageoires, il est possible de repérer les poissons et de les suivre, explique Roar pointant vers l’horizon. Sur sa droite, le système d’identification automatique indique notre position et la localisation des bateaux alentour. Tout le monde me voit et je peux voir tout le monde. »Sur cet écran, il repère une embarcation à 3 miles et vérifie son identité avec l’un de ses téléphones, l’autre lui sert pour les réservations de son auberge. Pragmatique et railleur, il lance sans quitter des yeux ses instruments et l’horizon :
« C’est facile aujourd’hui avec tous ces instruments : je dirige avec un joystick ! »
Une tête de morue sur un billet de 200 couronnes
À cause de l’usage généralisé de la technologie, le nombre de participants à la saison hivernale a diminué depuis 1945 : aujourd’hui, seuls 3 000 à 4 000 pêcheurs y prennent part et la majorité d’entre eux vivent à bord de leurs bateaux équipés de cabines modernes et confortables.
Le commerce du cabillaud représente encore aujourd’hui une grande part de l’économie locale et 90 % des prises sont exportées. La Norvège possède de loin le plus grand nombre de bateaux de pêche actifs dans les mers de Barents et de Norvège (3 000 navires contre 215 pour la Russie, la deuxième flotte la plus importante).
Frais ou séché (stockfisch), le cabillaud (skrei en norvégien) fait partie intégrante de l’histoire et de la culture nationales. Il n’est donc pas étonnant de le voir représenté, nageant dans un fond marin entouré de petits harengs, sur les billets de 200 couronnes norvégiennes. Imaginez nos anciens billets de 500 francs, avec une tête de morue à la place du portrait de Pascal ! Il existe même un musée du poisson séché, à Moskenes : le Lofoten Stockfish Museum.
Membre de l’Espace économique européen, la Norvège a refusé d’intégrer l’Union européenne lors de deux référendums (en 1972 et en 1994), en partie parce que l’Europe aurait imposé ses propres quotas de pêche. Interdite dans les eaux de l’UE, la chasse à la baleine est encore pratiquée dans les Lofoten par une dizaine de baleiniers locaux. Réglementée, cette chasse traditionnelle se déroule dans les fjords ; de 600 à 800 rorquals sont tués chaque année.
« Si nous étions des pirates…»
Notre bateau continue lentement vers le continent, clairement perceptible bien qu’à plus de 24 miles.
« Je vois des bouées là-bas : il y a un filet », avertit Roar. Invisible aux yeux non entraînés, le filet restera vingt-quatre heures sur place. Mais aucune trace du bateau de pêche professionnel qui l’a posé. « Il est retourné à Stamsund. Si nous étions des pirates, nous pourrions aller là-bas et voler leur poisson ! »« Lancez les lignes ! »
À 13 h 02, notre bateau ralentit et s’arrête : nous venons d’atteindre notre zone de pêche, au milieu de la mer de Norvège. Sur le pont, l’excitation est palpable. « Lancez les lignes ! », s’écrie Roar, pointant un essaim de points bleus sur l’écran du Fishfinder. Lorsque la ligne touche le fond, à 20 mètres, un mouvement de haut en bas permet de la remonter, avec plusieurs prises sur ses différents crochets.
Chaque année, le gouvernement norvégien fixe des quotas de pêche, selon les stocks de poissons estimés par les scientifiques. Chaque bateau a sa propre limite à respecter. « [En 2018], elle était de 55 000 kg », détaille* Holger Pedersen, un pêcheur professionnel qui pratique et défend une pêche durable. Les plaisanciers comme Roar doivent aussi respecter un quota s’ils veulent vendre leurs prises, par exemple aux restaurants locaux.
Le danger est toujours présent
En cas d’urgence, les bateaux disposent d’un bouton « man over-board » et chaque pêcheur doit porter une combinaison de survie. « Elles ont sauvé de nombreuses vies », résume Roar. Dans les eaux froides de Norvège, un homme à la mer ne survivra que deux à trois minutes ; jusqu’à vingt-quatre heures, avec sa combinaison. Mais le danger principal reste le maelstrom que tous les marins des Lofoten ont dû braver. Roar n’a pas oublié les cinq ou six occasions où il a dû l’affronter, notamment la fois où il s’est retrouvé au milieu du courant sur un bateau rempli à ras bord de têtes de cabillaud :
« Le courant était très fort creusant de multiples tourbillons marins.J’ai navigué dans ces conditions de nombreuses fois, mais jamais avec une si puissance marée de printemps. J’ai dû enlever la vitesse pour ne pas forcer le moteur : le bateau a pu repartir et vivre sa vie normale ! »
La meilleure façon d’échapper au maelstrom est de l’éviter en empruntant une route plus longue connue des locaux comme Roar.
La belle vie
À 73 ans, cet ingénieur mécanicien, retraité d’un chantier naval, se souvient très bien de sa plus belle prise (un cabillaud de 30 kg), de la beauté des algues aux couleurs vives aperçues à marée basse, des montagnes de Reine recouvertes de neige fraîche et d’incroyables aurores boréales dansant à l’horizon sur la mer :
« Pendant tout le mois de décembre, nous ne voyons pas le soleil, pas avant le 7 janvier, Le soleil est sous l’horizon, mais nous pouvons voir la lumière, par exemple apercevoir des nuages roses du pont d’un bateau. Et il ne fait pas froid : entre -5 et +5 °C. Nous avons une belle vie ici. La qualité de vie. »
Merci à Éric Babikian, guide à Terres d’aventure, pour ses précieux conseils.
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Une réponse
Bel article. Il est concis et bien structuré. Les illustrations sont magnifiques.