Marché Ver-o-Peso de Belém une fenêtre sur les traditions de l’Amazonie
Plus grand marché ouvert d’Amérique latine, le Ver-o-Peso de Belém (nord-est du Brésil) reflète l’abondance et la diversité des produits en provenance du delta amazonien – poissons, plantes médicinales, fruits… Au fil de ses étals s’y dévoilent également les croyances bien présentes des peuples qui y vivent. Rencontre avec les détaillants du marché, porteurs de ces traditions.
Dans quel autre marché au monde, à part celui du Ver-o-Peso de Belém au Brésil, peut-on trouver du Viagra naturel jouxtant un étal d’artisanat d’Amazonie, un vendeur de crevettes, un volailler débitant des bêtes vivantes et une marchande de glaces et de bonbons fabriqués à partir de pulpes de fruits exotiques ?
Bienvenue dans le plus grand marché ouvert d’Amérique latine, le Ver-o-Peso, qui approvisionne en poissons, viandes, fruits, plantes médicinales de la forêt amazonienne et bien d’autres denrées la capitale de l’État du Pará (nord-est du Brésil), reconnue cité créative de la gastronomie par l’UNESCO.
Tous les ingrédients de cette cuisine métissée, qui incorpore les influences indigènes, portugaises et africaines, sont échangés toute l’année sur ce marché tentaculaire fonctionnant du lundi au dimanche, de jour comme de nuit (lire la première partie : Marché Ver-o-Peso de Belém, porte d’entrée de l’Amazonie où la vie ne s’arrête jamais).
Viagra des Indiens
Près du bâtiment néoclassique Solar da Beira récemment rénové, le stand de Dora n° 80, à l’angle de deux allées du marché, est tenu, ce matin du mardi 5 juillet, par Cheila. Cette employée aux tempes grises et à l’allure sage ne vend pas des huiles pour agrémenter les plats locaux, mais propose, entre autres remèdes traditionnels à base de plantes d’Amazonie, du parfum de Bota censé attirer des partenaires sexuels et du Viagra naturel, un mélange d’herbes amazoniennes (nó de cachorro, « nœud de chien », catuaba, ginseng, mirantã et guarana, une liane originaire de l’Amazonie brésilienne) appelé aussi Viagra des Indiens.
Typique du Pará, le parfum de Bota (Perfume ou Óleo da Bota) est préparé avec un morceau de vagin du dauphin rose de rivière (o boto cor-de-rosa, espèce d’Amazonie en danger d’extinction inscrite sur la liste rouge de l’IUCN), conservé dans l’alcool puis mélangé avec des essences de plantes locales. Son arôme, qui évoquerait les phéromones de la femelle du dauphin, est supposé provoquer une attirance sexuelle chez les hommes qui le sentent sur la peau de celle qui le porte.
Très populaire parmi les milliers d’herbes naturelles vendues sur le marché, l’élixir est basé sur une croyance présente dans les communautés de l’intérieur de l’Amazonie, selon laquelle le boto (« dauphin ») se transforme en homme pour séduire les filles qui restent au bord de la rivière. Exécutée de façon très suggestive par un couple, la danse du boto chorégraphie cette séduction. La légende permet aussi d’attribuer la paternité d’un enfant né de père inconnu ou hors mariage… au boto.
Le jambu, la plante star de l'Amazonie
En face de l’étal de Dora, sur le stand n° 8 situé dans le prolongement de la rue aux épices (Travessa Oriental do Mercado), Gregorio, le vendeur de crevettes, ne s’en formalise guère. Propriétaire de son commerce, cet homme affable de 67 ans travaille avec son fils.
À côté d’eux, Ronaldo, le primeur, détaille la marchandise présente sur son commerce, qui a ouvert, comme la plupart des autres stands, à six heures du matin : chou, chicorée, persil, coriandre et la plante médicinale star de l’Amazonie, le jambu, connu en France sous le nom de cresson du Pará. Derrière son étal, un détaillant expose des volailles vivantes présentées en cages, dont se dégage par instants une odeur de basse-cour nauséabonde qui kidnappe les narines et donne envie de dévaliser les stands de glaces et de bonbons voisins.
« Vous goûterez bien mes bonbons au cupuaçu ou au jambuaçu ? »
En plus des traditionnelles goyaves et mangues connues en Europe, différents stands du marché abondent en fruits exotiques plus rares aux couleurs et aux formes surprenantes : le cupuaçu, fruit d’un arbre originaire d’Amazonie, le maracuja, la cabaça, le graviola…
Employée, Marcileme vend sur un étal coloré, avec vue sur le rio Guamá, des bonbons artisanaux fabriqués à partir de pulpes de fruits de l’Amazonie : murici, bacuri, uxi, tucumã, cacau et l’açaï issu d’un palmier proliférant dans le bassin de l’Amazone. Préparé en sauce servie traditionnellement avec les plats de la région, l’açaï est devenu un « fruit de la mondialisation » : il s’exporte aux États-Unis et en Europe. Sa filière fait vivre près d’un habitant du Pará sur dix et représente 10 % de ses exportations agricoles.
Comme l’acaï qui peut servir de liqueur, le jambu est également utilisé pour fabriquer de l’alcool, la fameuse cachaça de jambu. Très populaire dans la région, elle se vend sur plusieurs stands, dont cet étal spécialisé qui propose différentes versions du breuvage agrémentées de poivre et cannelle ou mélangées avec un fruit tel le bacuri.
Travail en famille
Chaque stand est numéroté et porte le nom de son propriétaire avec ses coordonnées. Certains commerçants affichent également leur photo comme sur l’étal de Marcelo (« Barraca do Marcelo n° 518 »), jouxtant celui de son frère aîné, Orivaldo, qui a ironiquement nommé le sien « Barraca do irmão » (« stand du frère »).
Ces fournisseurs de morceaux de porc pour la feijoada et la maniçoba (plat de viandes typique du Pará) travaillent à quelques centimètres l’un de l’autre et partagent une vraie complicité :
« Ici, c’est un lieu de travail, mais aussi une famille : l’un aide l’autre, glisse Marcelo. Si le client est ici [sur mon stand] ou là [sur celui d’Orivaldo], c’est bien : il n’y a pas de désaccord entre nous. »
Ils fonctionnent ainsi toute l’année, chacun s’accordant un jour de repos dans la semaine – le dimanche pour l’aîné, le lundi pour le cadet.
Plus modestes, certains vendeurs n’ont pas de stands attribués comme cette femme, qui découpe sur un coin de tabouret une castanha do Pará (« châtaigne du Pará » connue comme la noix du Brésil), fruit à écale aux multiples vertus du noyer d’Amazonie.
Marché aux poissons
Vers 10 heures, certains détaillants du Mercado de Ferro ont les traits tirés : ils sont arrivés en pleine nuit ou à l’aube pour acheter aux grossistes la pêche du jour (lire la première partie : «Marché Ver-o-Peso de Belém, porte d’entrée de l’Amazonie où la vie ne s’arrête jamais»), des espèces familières comme la daurade locale ou typiques de la région, tel le tamuatá de Marajó.
De nombreuses espèces échangées ici proviennent directement d’Amazonie comme le gurijuba, le tucunaré, ou le pirarucu (Arapaima gigas), gigantesque poisson d’eau douce qui peut atteindre 3,2 m et peser jusqu’à 330 kg, que l’on trouve dans le bassin de l’Amazone.
"De domingo a domingo"
Les détaillants du Mercado officient tous les jours « de domingo a domingo ». Ils sont pour la plupart propriétaires de leur commerce, à l’instar de Rangel, 68 ans, qui est présent sur le marché de deux heures du matin à 14 heures.
Le stand de Luciano jouxte la statue de Nossa Senhora de Nazaré, patronne de la ville. Petite lunette, barbe fournie taillée de près, Luciano, tee-shirt et short blancs, détaille ses horaires d’ouverture au public : de 6 à 13 heures tous les jours. Chapeau Fedora sur la tête, ce vendeur de fruits de mer originaire de Belém prévoit déjà les achats qu’il doit faire le lendemain à 5 h : 70 kg de crevettes de la région et 30 kg de roses.
Vu l’amplitude des horaires effectués par ces travailleurs acharnés, il n’est pas rare de repérer sur le marché des hommes endormis qui, sur le pont d’un bateau ou derrière leur étal sans client, s’accordent quelques instants de repos. À l’angle du fleuve et du marché aux poissons, un « hamac public » se balance entre deux stands. Il est souvent occupé, de jour comme de nuit.
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